En ballada sobre la Senda

Nous entretenons avec les Pyrénées une relation passionnée, voire tumultueuse. Depuis trente ans, presque chaque année, nous y avons élimé nos Vibram® et détrempé nos Goretex®, très souvent sur la HRP (Haute Randonnée Pyrénéenne), très rarement le GR 10, beaucoup plus fréquemment sur des boucles savamment programmées dans le dédale des chemins, des traces, des cols franchis au cap et à la carte. Nous en avons goûté tous les massifs, français comme espagnols ou andorrans.  … Longtemps nous y avons adoré la montagne d’un éternel beau fixe, offrant ses merveilles à chaque étage,  rhododendrons exubérants et prairies au premier, pierriers rugueux et lacs secrets au second, puis névés, glaciers agonisants et sommets aériens au troisième. Cette illusion se dissipa dans une série d’étés médiocres, nous fracassant des orages énormes, nous abreuvant de pluies à tordre sac, tente et slip, nous enveloppant de brouillards sournois pour mieux nous perdre. Cette série s’acheva par le saut intempestif d’une barre rocheuse de quinze mètres, à quinze fractures, mais encore suffisamment en vie, merci Catherine, merci au PGHM ariégeois et son hélicoptère magique trouant la nuit, pour garder le goût d’y retourner ressoudé.

Cet épisode regrettable, associé au temps qui passe, nous conduisit toutefois à une subtile adaptation. Nous tacherions désormais de rester sur des itinéraires repérés, sinon balisés, et nous prendrions aussi la météo avant qu’il ne plût ou ne neigeât, pour, en prime, en tenir compte. Mais comme le principe de précaution dicte de ne pas sortir de son lit, de telles résolutions auraient pu nous entraîner à mourir d’ennui sur l’autoroute du GR10, l’œil rivé aux balises à deux gros traits, de refuge bondé en refuge surpeuplé, arrachant un bonjour absent à chaque croisement d’une autre victime du sentier… Rejetant cette option, le projet un peu désordre de s’appuyer sur le GR11 espagnol, la « Senda », pour, d’année en année, joindre la mer Méditerranée, depuis le Cap Creus, à l’océan Atlantique, précisément le Cabo Higuer à Irun, se forma. Sept cents kilomètres, en quarante étapes pour qui jamais ne s’arrêterait.

Balisé, en principe. Décrit dans plusieurs guides, en principe, dont le guide français de Pierre Macia, d’Est en Ouest, le meilleur sens pour le randonneur, nécessairement du matin, qui peut ainsi jouir du soleil dans le dos, alors que la lumière percute et exalte la nature. Peu fréquenté, sauf lorsqu’il traverse les grands spots, Aigues Tortes, Maladeta, Posets, … voire inquiétemment désert sur ses marges catalanes ou navarraises. Espagnol, mais plus encore catalan, andorran, aragonais, navarrais et basque, il applique un prisme régional à la montagne et dépayse à la vitesse du randonneur. Mais du costaud ! Du lourd ! Des cols, des cols et encore des cols. Vingt-cinq cols à plus de 2000 mètres. Entre les cols des vallées profondes, profondes. Dans ces vallées des hameaux et villages de pierre, d’un caractère plus trempé encore que du côté français.

Sac au dos, avec tout le matériel de bivouac, tente, ravito, etc. la seule option à la hauteur de ce parcours, pour faire corps avec le milieu, s’endormir dans les remous du torrent, se réveiller au cri strident de la marmotte, recueillir le dernier rayon du soleil avant qu’il ne chute derrière la crête, fuir les refuges anonymes, les ronfleurs, la guerre des douches, les farfouillis nocturnes de sacs plastiques qu’on froisse nerveusement dans des sacs plastiques.

En 2014 nous avions fait un formidable tronçon au départ de Latour de Carol pour rejoindre Vielha, aux sources espagnoles de la Garonne, ces deux points assez aisément accessibles en train et bus, encadrant les étapes 12 à 19 du GR11 selon Macia. Bien sur, des souris nous avaient tenus éveillés une nuit entière au refuge d’Engorg, et sérieusement rongé un sac à dos. Bien sur, la pluie battante nous avait détrempés et contraints à shunter une étape en Andorre. Mais, pour le reste, que du soleil, des névés, des forêts, des rencontres, un stimulant jeu de piste …

Nous y revenons cette année pour enchaîner en joignant Luchon à Gavarnie …

Fraîchement débarqués du train de nuit, dans ce juillet 2015 caniculaire, c’est dans le brouillard et sous une pluie fine mais pénétrante, que nous démarrons notre randonnée des Hospices de France au dessus de Luchon, pour aller franchir le col de Bénasque situé sur la frontière.

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Mille mètres plus haut et à quelques dizaines mètres de la frontière, le ciel se troue de bleu. Nous émergeons au soleil juste à la frontière, miracle, Gracias a Dios!

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Face au col de Bénasque, le massif de la Maladeta s’exhibe orgueilleusement, imposant. Au sud-est du massif se détache l’Aneto, plus haut sommet des Pyrénées à 3404 mètres.

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Nous l’avions gravi autrefois avec des amis, beau souvenir, mais pour demain nous avons un autre but : opérer la jonction avec le GR11. Nous installons notre premier bivouac juste en dessous du col, de l’eau, un petit creux herbeux et presque plat. Soleil couchant. Nous y sommes. Nickel.

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Le second jour nous voulons rattraper le GR aux environs du refuge d’Estos. Mais plutôt que de descendre très bas dans la vallée de Bénasque, pour remonter ensuite le long du rio d’Estos, ce qui impliquerait de marcher sur des pistes fréquentées, nous décidons de couper par la cabana Literola et le col Perdiguero. L’ennui c’est qu’aucune des traces figurant en pointillés sur notre carte ne figure sur le terrain.

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Bon ça passe quand même, nous franchissons un petit col désert, la Collada de Frontonet, et de là rejoignons au jugé le GR11 à la Cabana de Turmo. A partir d’ici ce sera balisé, souvent mal, mais balisé. Nous bivouaquons non loin du refuge d’Estos. Comme partout fleurissent de très laids panneaux d’interdiction de camper, qui abîment davantage le paysage que d’éventuels campeurs, mais nous ne nous sentons pas concernés. A huit heures demain matin nous serons partis depuis longtemps.

Au J3, nous attaquons la montée vers le col de Ghislain à 2577 mètres, d’où l’on redescendra dans la vallée à Viados. La randonnée est absolument splendide, le sentier s’élève progressivement, le soleil nous pousse dans le dos, l’éclat des iris innombrables est au-delà de Van Gogh.

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Après une dernière rampe nous voici au col, avec une vue directe sur le Posets au sud, deuxième sommet des Pyrénées, avec 3355 mètres. Lui aussi nous l’avons gravi autrefois, au terme de pentes raides couvertes de neige. Mais cette fois-ci nous sommes sur le GR11. Un petit groupe de français rencontrés au col nous dit faire un tour du Posets en trois jours … ils ont l’air bien sympa … quoique subtilement étonnés de voir des vieux comme nous marcher … étonnement qui nous étonne, il faudra s’y habituer. La redescente dans la grosse chaleur vers Viados est un peu longue, nous faisons longtemps de la courbe de niveau, à chaque épaulement ça continue, ça continue. Au joli confluent de trois torrents, Tres Cruces, nous croisons un jeune anglais dont le sac doit bien faire vingt-cinq kilos. Il remplit devant nous sa poche à eau de cinq litres, tandis que son appareil photos reflex avec tous les objectifs qui vont bien lui bat le ventre. Je me suis toujours étonné de ces haltérophiles qui pourtant parviennent à randonner. Epaulé, jeté, en avant marche. Plus ou moins abrutis de marche et de soleil nous rejoignons le site des granges de Viados, bel ensemble de granges en pierre, harmonieusement étagées dans la prairie en pente. Petite pause Fanta® lemon bien glacé au refuge de Viados. Nous faisons une grande consommation de ce merveilleux breuvage, incomparable dans ces circonstances. Le refuge est agréable, doté d’une vue splendide, mais déjà quarante personnes ici en milieu d’après-midi, dans ce qui n’est qu’une petite maison. Nous rejoignons un peu plus bas le camping El Forcallo. Presque un hectare ombragé pour notre micro tente, douches chaudes, bacs à vaisselle, cordes à linge … on s’offre carrément un autre Fanta® lemon au bar du camping pour fêter ça.

Le quatrième jour au départ de Viados nous avons une étape un peu foutraque. L’attaque est splendide avec la montée vers le col d’Ordiceto à 2326 mètres. Prairies, forêts écartées, ruisseaux bruissants, rainettes jaillissantes, petits ponts de bois, fleurs et fleurettes aux teintes profondes, nous sommes dans les Pyrénées de carte postale.

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Nous faisons cette section cœur joyeux et pied léger. Mais, passé le col d’Ordiceto, le GR11 emprunte ensuite une piste d’accès au lac artificiel, taillée sans ménagements dans la roche, brutale, longue, sèche, poussiéreuse, enchainant d’interminables lacets, pour arriver à Parzan. Ce village, d’allure artificielle, se situe au bord de la route du tunnel de Bielsa, axe transfrontalier très chargé. Idem après Parzan, le GR11 emprunte d’abord une route goudronnée, puis une piste du même acabit. Le guide Macia recommande de faire du stop improbable sur la piste qui redescend du col d’Ordiceta. Nous appliquons néanmoins cette recommandation, sachant qu’il ne doit pas passer là plus de deux 4×4 par jour. Lucky we are, nous en attrapons un! Conduit par un inattendu berger français … qui est venu voir ici ce matin si ses vaches n’ont pas franchi la frontière, située juste au-dessus de nous. Pendant l’heure de descente en 4×4 nous en apprenons beaucoup sur la vie de la frontière, les vaches qui la traversent sans papiers, qui retrouvent leur étable toutes seules, les bergers qui se surveillent, les fugitifs qui la franchissaient dans les années de guerre, … merci à toi moderne berger au 4×4 toyoteux de nous avoir épargné cette piste hostile au marcheur et conté ces histoires. Dommage que tes vaches fassent autant d’ignobles bouses, labourent autant les sentiers, meuglent aussi stupidement, sans quoi elles pourraient paraître sympathiques malgré leurs yeux aussi globuleux qu’inexpressifs. Dans la vache il n’y a vraiment que le steak et le berger qui puissent s’apprécier.

A Parzan nous opérons un micro ravitaillement dans cette variété de supermarché frontalier qui vit très bien de la vente de bouteilles de pastis, de cartouches de clopes et de paquets de chips aux français, dont c’est la sortie familiale du samedi. Ils pourront s’empoisonner de ces emplettes low cost devant Drucker le dimanche. Pour la peine nous nous offrons notre élixir, un Fanta® pression lemon géant et glacé au bar du supermarché, un must, dans la perspective de reprendre la Senda, en pratique la route goudronnée qui le porte par ici. Les 35°C extérieurs de ce début d’après-midi caniculaire nous rendent un petit peu anxieux.

Chapeau à larges bords vissé sur la tête, lunettes de soleil étroitement arrimées, gourdes remplies, sacs de 11 à 12 kilogrammes sanglés sur le dos, nous repartons sur la route, guettant au loin le premier gazouillis de moteur. Dix minutes de ce four à randonneurs, une voiture au loin nous envoie un doux bruit, nous rejoint, s’arrête … énorme jour de chance aujourd’hui. Les jeunes Espagnols de Bielsa qui partent en ballade cet après-midi nous remontent sur cinq kilomètres de cet enfer, jusqu’à atteindre la piste au-delà de Ghisaguë. Merci les jeunes, on vous aime. Nous n’aurons que huit ou dix petits kilomètres de pistes longue, sèche, poussiéreuse et pentue à faire à pied aujourd’hui avant de retrouver un GR digne de ce nom…Nous bivouaquons 300 mètres en dessous du col de Piedramula, la tente plantée parmi des blocs très décoratifs.

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Le cinquième jour se lève, sous un ciel encore une fois parfaitement dégagé. Nous n’attendons pas que le soleil apparaisse pour engager. Moins d’une heure pour petit déjeuner, plier la tente, comprimer matelas et duvets et les forcer à rentrer malgré eux dans leurs sacs, chausser, partir. Les deux à trois premières heures de marche dans la fraîcheur et la forme du matin sont toujours un bonheur, nous nous élevons comme dans un ascenseur, sans autre effort que de rythmer notre pas sur notre souffle, et vice et versa. D’ailleurs nous rejoignons le col de Piedramula en moins d’une heure, juste à l’instant ou le soleil nous atteint.

C’est là que nous trouvons le Mont Perdu.

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Le guide Macia, étape 24, nous en avait averti, « magnifique vue panoramique ». Exact, nous embrassons toute la région du Mont Perdu, puissant, plissé, sec, minéral, austère, sous une lumière encore basse qui en avantage les arcures, les moulures et les contre-moulures. Au premier plan, sous le col, une vaste cuvette herbeuse bordée par de hautes falaises couronnées de pins. Au second, les vertes estives et la vallée profonde de Pineta. Au troisième plan, le lourd massif du Mont Perdu, auquel s’accrochent encore quelques glaciers désespérés de mourir. Décidément c’est splendide. D’ici l’on pourrait donner des cours sur les Pyrénées. Même après avoir vu le Fitz Roy et le Cerro Torre, à quelque distance d’ici, nous ne sommes pas blasés.

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Nous descendons vers la vallée de Pineta, suivant au mieux un balisage largement estompé.

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Plus bas la sente est encombrée de branches basses qui agrippent, d’églantiers qui accrochent. Le chemin se perd dans les innombrables raccourcis tracés par les vaches ou les marcheurs. Mon esprit se perd en conjectures sur le manque d’entretien et de protection de ce chemin. Pourquoi dans un pays qui comporte près de 25% de chômage ne trouve-t-on pas les bras, les cisailles et la peinture, capables en quelques journées de travail de recadrer ce GR réputé mais si souvent laissé en déshérence? Est-ce aussi un pays qui, comme la France, comporterait davantage de politiques et d’économistes que de travailleurs productifs? La marche, l’altitude et la fatigue désinhibent sans doute exagérément ma pensée économique, puisqu’en effet, dans l’en-bas ordinaire, celle-ci est normalement dévolue aux Diafoirus économico-médiatiques de l’époque.

Nous rejoignons la vallée de Pineta au niveau d’un grand parador national. Cet objet est un grand hôtel, de style montagnard mussolinien, voire franquiste, dont la maxime légère doit être « le plus que ça coûte, mieux que c’est du bon ». Nous croisons à l’entrée dûment gardiennée un couple ventripotent qui doit bien avoir quelques dizaines d’années de moins que nous. Ouf, nous aurions pu tourner comme cela! Dédaignant ostensiblement cet antre aux plaisirs aussi vains que coûteux, nous empruntons à nouveau un lit de macadam, puisque le GR, hélas, l’emprunte. Midi, il fait chaud, hace caliente por aca. Un bar heureusement placé nous sert un Fanta® lemon très bienvenu. Encore deux kilomètres très longs sur la route très ensoleillée nous mènent au refuge de Pineta, où, pour une fois, nous ferons étape. Il convient de se ménager aujourd’hui pour la séance de demain, de Pineta à Goritz, réputée difficile. La préparation est complète avec ce soir une très copieuse salade en entrée, puis un énorme plat pois chiches saucisses grasses en sauce à suivre, puis des saucisses grillées accompagnées de frites découpées à la tronçonneuse, avant une crème dessert pour retour de camp. Ah, on l’aime la bonne grosse bouffe des refuges, si ignorante de nouvelle cuisine!

Le sixième jour nous démarrons  l’étape mythique par la montée au col d’Anisclo, 1200 mètres de dénivelé en deux kilomètres. Sans concession.

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Pierre Macia prévient : « Toi qui n’as pas connu la montée du col d’Anisclo, tu n’as pas connu le doute … ». En effet ça grimpe raide, raide, dans les barres on met les mains, on se tire, on se hale, on inhale de la poussière, on se pousse, on s’égratigne, on ahane, près de quatre heures durant.

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GR11 0020Mais finalement, avec un départ à 6h30, on monte sans vraie douleur jusqu’au col, dans un air encore frais, avec des vues exceptionnelles vers la vallée. Ici les marques de GR on été repeintes dans un passé récent, cette section plus fréquentée fait partie du réputé tour du Mont Perdu.

Exceptionnellement nous sommes presque dans le temps de parcours donné par Macia. C’est étonnant car les temps indiqués dans son guide sont manifestement faux et infaisables, même pour un très bon marcheur par très beau temps. Ce serait très dangereux de s’y fier. Dans une étape andorrane il nous avait prescrit une montée de 500 mètres en une demi-heure… En pratique nous ajoutons 30% pour corriger la vitesse moyenne et encore une heure pour tenir compte des pauses photo et autres, nous aimons aussi déjeuner en prenant le temps de mastiquer et de contempler, voire de dorer au soleil. Quand Macia indique 6 heures, avec cette équation du temps nous comptons donc presque 9 heures … ce n’est pas exactement pareil. Mais 9 heures en juin/juillet c’est seulement la moitié d’une journée, on a le temps.

Nous sommes partis du refuge en compagnie de Joseph et d’un couple de tarbais du CAF, rencontrés hier. Joseph est breton à 1000% au moins, de l’Aber Wrach … il a décidé de profiter d’un répit professionnel pour s’initier à la randonnée … en parcourant le GR11 de bout en bout, du Cap Creus à Irun. C’est la première randonnée de sa vie, cochée la case de la cinquantaine. Il marche maintenant depuis 26 ou 27 jours d’affilée, et commence à voir le bout du chemin dans une bonne quinzaine. Il n’a pas la sensation de réaliser un exploit, il marche, il monte, il descend, donc il avance. Nos respects Joseph !

Nous rejoignons Joseph au col tandis que les tarbais s’éloignent déjà au-delà.

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Nous repartons ensemble pour quelques centaines de mètres, mais, alors que nous stoppons pour une bonne pause auprès d’une source, Joseph s’envole vers le refuge de Goritz, l’objectif du jour.

Cette seconde partie se révèle vraiment difficile. Il faut encore monter de 300 mètres dans un dédale pierreux, puis franchir quelques passages à risques, heureusement équipés de chaînes. D’abord une faille verticale, puis de grandes zones de pierres plates glissantes et désagréablement inclinées vers les terribles canyons situés en contrebas.

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Ensuite la trace du GR chemine longuement juste à l’aplomb d’un canyon profond de centaines de mètres, aux parois parfaitement verticales. Tu tombes, tu meures. La séance photos est terminée. La concentration est maximale, le pas lent, sous contrôle maximum, la sueur perle … un vautour surgit du vide à quelques mètres en nous rasant… sois gentil mon mignon, vas voir les moutons un peu plus loin …

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Nous ne croiserons par ici que deux jeunes et jolies randonneuses, anglaises ou moldaves, dommage, pas le temps de prendre attache, plantés là au bord de l’abime, c’est déjà périlleux de se croiser, voire d’expirer un salut, alors bonne chance les filles!

Au bout de ce qui serait un martyre pour sujets au vertige, la trace fait enfin un large arrondi vers l’Ouest et nous remet sur un terrain où l’on peut raisonnablement demander à nos genoux d’arrêter de flageoler. La pente s’adoucit, un dernier passage où il est interdit de glisser, puis c’est du bon chemin, de l’herbe verte, de l’eau qui cascade avec grâce depuis les pentes du Mont Perdu.

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Un troupeau de moutons paît d’ailleurs dans cet endroit très reculé. Mais pas dans la paix. Une dizaine de vautours au regard glaçant tournoient, effectuant des piqués assassins. Quel berger dépravé aura eu la folie de mener ici ses bêtes? Une seule hypothèse nous vient à l’esprit. Dans ce parc Ordesa Mont Perdu, où le spectacle des vautours doit attirer des colonies de visiteurs, ces moutons auront été placés volontairement ici comme garde-manger pour ces aimables volatiles. Le vautour vaut quand le mouton mout.

Nous rejoignons le refuge de Goritz. C’est le camp de base de tous les randonneurs qui veulent grimper au facile Mont Perdu. Comme toujours dans ce type de refuge, il est affreusement overcrodé. Il faut enjamber sacs et randonneurs écroulés pour aller retirer notre Fanta® lemon. Trois euros la canette, pas de glaçons, pas de timbales. Mais, Caballero, c’est un Refuge de Haute Montagne! Entiende ? Donc cher, bruyant et inconfortable. Qui écrira donc le routard ou le petit futé des refuges?

Nous retrouvons les tarbais qui viennent seulement d’arriver. Etonnant car, sportifs et peu chargés, ils étaient déjà nettement devant nous à mi-parcours au col d’Anisclo. Mais ils se sont fourvoyés et, au lieu de poursuivre au col sur le GR11, ils sont descendus vers Fon Blanca, rajoutant aisément deux heures à l’étape, et quelques centaines de mètres de montée. Nous demandons à l’accueil si un certain Monsieur Joseph est arrivé. Si Señor, il vous a laissé un mot. « Chers amis, dans ce refuge, trop de monde, trop de bruit, je continue vers l’Ouest ». Tout est dit.

Nous quittons asap le refuge et engageons la descente vers le canyon d’Ordesa en quête d’une source pour bivouaquer. Pas évident dans ce secteur terriblement aride. Mais, 100 mètres en dessous du refuge, nous entrevoyons vers l’ouest l’amorce du canyon d’Ordesa. Quittant le chemin pour examiner, nous apercevons des flaques d’eau. En fait des résurgences d’un rio dont le flot apparaît et disparaît, coule tantôt sur son lit, tantôt sous son lit. Parfait pour bivouaquer.

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Il fait très chaud. Bain. Sieste. Lecture. Dîner sans chandelles. Fermeture des bureaux pour aujourd’hui.

Au septième jour, quittant le bivouac, nous descendons vers le célébrissime Canyon d’Ordesa. A la première source rencontrée je me place au-dessus d’un troupeau de vaches pour prendre de l’eau saine, au plus près de la source. Redescendant je croise la route du taureau de ces dames. Erreur! Vindicatif, celui-ci me charge. J’exécute la première passe tauromachique de ma vie pour esquiver ce monstre. Olé ! Réussie.

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Bien, mais, soyons lucide, il faut que je m’entraine. Ce sera moins risqué avec ce veau innocent de quelques semaines, tout proche,. Cependant celui-ci n’a pas été encore initié aux finesses tauromachiques, il me fixe glauquement d’un faux air de Rantanplan, « qui c’est-y que çui-là? »

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Plus bas nous plongeons cette fois dans le canyon d’Ordesa. Cascades, cuvettes, cuvettes en cascades, d’une eau verte et transparente.

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C’est très joli, façon jardin public, et mérite les nombreux touristes qui montent de la vallée pour le spectacle. Les vues vers les falaises gigantesques sont impressionnantes. Nous rejoignons le Camino de Turieto, superbe chemin à l’antique longeant le rio, descendons, descendons, dans une chaleur toujours plus forte, pour atteindre assez tôt notre objectif de la journée, le sympathique village de Torla. Nous fendons le rideau de perles plastiques multicolores à l’entrée du premier bistrot, saluons d’un ¡Hola! chaleureux puis engouffrons des raciones de calamares et de tortilla, arrosé de Fanta® lemon. Le monde est bien fait. Ensuite nous prenons une chambre dans un hôtel très simple. Dans une après-midi de torpeur nous voyons à la télé de l’hôtel Chris Froome faire le trou dans la montée vers la Pierre Saint Martin, à peu de distance d’ici, moulinant son pédalier comme on essore la salade, et distançant ses concurrents scotchés au bitume gluant de chaleur. C’est tout ce que nous verrons du tour de France 2015, comment Chris l’a tué.

Frais et dispos au matin du huitième jour nous attaquons la montée vers San Nicolas de Bujaruelo. Ballade de quatre heures seulement. Bien tracé, bien balisé, ombrages dominants, une ballade de santé, du vrai gâteau pour randonneur qui le mérite bien.

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Nous passons l’après-midi en bordure de rio, à nous baigner dans une large cuvette. On nage sans avancer, à contre-sens du courant. L’eau est très froide, le soleil est brulant, cela fait une moyenne.

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Malheureusement les taons sont aussi féroces que vicieux, ils affectionnent l’attaque traîtresse par derrière, on ne les sent pas venir avant la piqure. Je serai poinçonné de partout ce soir. Dernier bivouac sous notre premier orage. Pas grave, la tente est montée, on apprécie le bruit des grosses gouttes que notre toile de tente intercepte bravement cinquante centimètres au-dessus de nos têtes.

Neuvième et dernier jour de cette randonnée que nous refermons sur le village de Gavarnie,  revenant en France. Le ciel s’est dégagé mais la tente est à tordre, il ne reste qu’à la fourrer dans un sac plastique pour la sécher plus tard. Huit heures, quittant notre bivouac, nous zigzaguons entre des arbustes et tombons sur Joseph comme si l’on avait joué à cache-cache dans les fourrés. Joseph! Toi ? Ici ? Façon Stanley retrouve Linvingston caché derrière un pygmée. Nous l’avions perdu deux jours plus tôt après le col d’Anisclo, il avait ensuite poursuivi après le refuge de Goritz. Il nous explique être descendu jusqu’à Torla ce jour là, c’est-à-dire avoir fait pratiquement deux étapes du GR11 en une journée! Il a dû marcher au moins quinze heures, dopé à la fatigue. Ensuite il a fait un break d’une journée complète. Quelle cadence! Du pur jus de granit ces gars de l’Aber Vrach!

Cette fois-ci Joseph on se quitte, toi tu poursuis ta trajectoire splendide et affreusement bosselée vers l’Océan, nous on lâche ici le GR11 pour rejoindre Gavarnie en repassant la frontière au col de Bujaruelo. Près de 1000 mètres de montée pour l’atteindre, puis à redescendre pour atteindre Gavarnie. Pas de problème, nous ne sentons plus le poids de nos sacs, les jambes tiennent bien, il suffit de réaligner souffle et pas, et ça passe. Un autre randonneur nous suit, large béret vissé sur la tête, bâton de bois noueux, sac à l’ancienne, gourde en peau. Genre dessines-moi un béarnais. C’est bon signe, on approche.

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Le col franchi, et après une bonne dose de descente, le sentier s’invite en belvédère sur le cirque de Gavarnie. Nous marchons avec la grande cascade en toile de fond, c’est assez prestigieux et complètement cartepostalesque.

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Nous atteignons Gavarnie en milieu d’après-midi.

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On ne rate pas le bus de 17h15, devant l’office de tourisme, vers la gare de Lourdes. On ne rate pas le train de nuit vers Paris à 22h45, en première classe, oui Madame. Nous l’avions réservé aujourd’hui par smartphone depuis notre pause déjeuner auprès d’une cascade d’eau claire. A nous bientôt les expositions arty, les boutiques trendy, le fooding, le clubbing, et tout le very much qui rend Paris so bien.

Quand même le monde est bien fait.

Nous reviendrons.

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