De Banyuls à Llivia, étape 5, Hello Julie!

Après deux heures de montée sur une piste monotone, alors que nous risquons déjà de manquer d’eau, nous rejoignons une ferme perchée. Ici devrait s’appliquer une des lois de la randonnée, encore vérifiée deux jours auparavant : ferme = eau = arrêt = plein des gourdes.

Nous poussons la grille derrière laquelle un chien, qui surjoue le méchant, tente de nous effrayer. Doux, le chien, gentil, gentil, le gros toutou, … on se calme, dis-je à la bête. Le chien se calme. Dix mètres plus loin, un autre gros chien, carrément féroce celui-ci, tout en crocs et  en griffes, est asservi à une corde de trente mètres qu’il longe avec des bonds furieux. Il n’y a pas de place ici pour négocier, mais pour contourner. Ce n’est pas facile car la laisse est lâche et le chien se lache.

Hay algun aquí ? Plus fort : Hay algun aquí ? Agua ??? AAAGGUUUAAA ??? crie-je de mon espagnol pour situation urgente.

Une femme se dégage d’un amoncellement de matériel agricole. Buen dia señora! Tiene un poquito de agua ? Elle paraît comprendre l’objectif aqueux de notre intrusion et nous conduit vers la maison, les chiens s’écrasent. Son mari est là. Echange rural de civilités. Venimos de Banyuls en Francia, vamos hasta la Cerdanya … Ils nous apportent une grande bouteille, un litre et demi, que l’on avale de quelques traits. Une seconde bouteille, dont nous avalons encore la moitié. Hace mucho calor por aquí, tentons-nous. Nous ne comprenons pas très bien ce qu’ils nous disent, ils sont catalans de Catalogne, qui parlent catalan et non pas castillan. L’homme parle castillan, mais non fluide. La femme nada.

Cette fois ils sortent carrément le pack de six bouteilles, en se demandant où on met tout cela. C’est une bonne question, en ce moment on roule à 4 à 5 litres d’eau par jour et par personne, et sans avoir à vidanger, ça s’évapore.

Merci Madame, merci Monsieur, c’est vraiment très gentil, le paysage est magnifique, et on ne refuse pas que vous nous accompagniez vers la sortie, car les chiens, là, ils ne parlent pas non plus le castillan, ni le français d’ailleurs, et ils ont vraiment l’air de vouloir bouffer du randonneur aujourd’hui, pour changer de l’ordinaire certes…

Quelques lacets de route plus haut nous tombons sur une source splendide, eau fraîche et volupté. Une randonneuse y est arrêtée et refait ses lacets de chaussure. Elle vient déguster cette eau limpide.

Bonjour!!! Buen día!!! Hola!!!

Non cette fois nous switchons vers l’anglais car c’est Julie, elle est allemande. Hello, Hi! Where do you come from ?

Elle débarque directement d’un avion arrivé hier soir à Gérone, puis bus ce matin très tôt vers Albanya, puis randonnée sur le GR11. Pas perdu de temps. On est donc pile synchro! The same, exactly the same as we are doing ! Etonnant car il n’y a pas foule sur ce chemin, il y a en tout et pour tout nous et elle, elle et nous, us and she, ça doit se chanter, de préférence quand il pleut déjà.

Julie, nous allons la croiser ou marcher avec elle pendant cinq jours, la perdre puis la retrouver et la perdre encore au hasard d’un aléa, d’un buisson, d’un dortoir, d’une pause, d’un détour. Julie randonne seule, sac de quatorze/quinze kilogrammes sur le dos, costaud la fille sur ses jambes et dans sa tête. Bref comme on les aime les randonneuses. Tous les jours on partagera un peu plus sur ce que nous sommes, ce que nous aimons, ce que nous faisons, ce que nous croyons. Nos lignes d’univers se chargeront des mêmes efforts, des mêmes sensations, des mêmes étonnements. Quand nous quitterons Julie après cinq jours d’aventures communes, elle aura comme nous les larmes aux yeux.

Nous quittons enfin les chênes liège, l’altitude s’élève, nous pénétrons dans une région au nom mystérieux, la Garrotxa. Les arbres sont beaucoup plus hauts, les couverts redeviennent humides. Nous atteignons dans l’après-midi un lieu charmant, Sant Aniol d’Aguja, où sommeillent les restes d’une très ancienne abbaye, en format poche, une abbayounette.

Une rivière coule en contrebas, où lumière et ombres contrastent violemment, agrémentée de piscines naturelles. La baignade y est simplement sublime. Rimbaud est là, complètement là,

« C’est un trou de verdure où chante une rivière,
Accrochant follement aux herbes des haillons
D’argent ; où le soleil, de la montagne fière,
Luit : c’est un petit val qui mousse de rayons. »

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