Sur le GR11 espagnol, de Roncevaux à Gavarnie
Nous revenons en quatrième année sur le GR11 espagnol, qui se faufile de la Méditerranée à l’Atlantique par un tracé pyrénéen particulièrement accidenté. Peu enclins au systématisme, nous avons organisé chaque année notre section selon l’opportunité du moment, dans le désordre, quitte à trahir le tracé officiel du GR11, plus souvent ingrat qu’à son tour.
Par exemple, c’est seulement en troisième année que nous avons décollé de la Méditerranée, dans le sillage d’un magnifique mariage à Perpignan, depuis Banyuls, point de départ du GR10 français, pour rejoindre le GR11 après le Perthus et atteindre Puigcerda en dix jours. Parcours bien plus intéressant avec les Albères que les pénibles pistes blanches catalanes au départ de Cadaquès qui vous grillent comme un pollo asado . Les deux années précédentes nous avions fait la jonction entre Puigcerda et Bujarelo, au pied du Vignemale, via l’Andorre notamment.
Au seuil de cette quatrième année il nous restait à parcourir une belle section allant de Bujarelo, à une journée de marche au sud de Gavarnie, à l’Atlantique. Cette fois-ci nous décidons, contrairement aux années précédentes, d’aller d’ouest en est, en remontant contre le soleil, de façon à faire les étapes les moins difficiles au départ …
Nous partirons donc de Roncevaux, en Espagne, accessible en train et bus par Saint-Jean-Pied-de-Port pour aller jusqu’à Bujarelo, et de là rejoindre Gavarnie, soit 12 jours de marche soutenue. Cela néglige les quatre étapes basques du GR11 au départ d’Irun, mais bon … peu attrayantes, longues et basses, il sera toujours temps dans 10 ou 15 ans, quand il nous faudra nous résigner, à contrecoeur, à mettre octo sous génaire.
Cette chronique devrait donc se titrer « GR11 4/4 », façon clap de fin, ultime saison de cette série passionnante, bouclant le quatrième tronçon d’un parcours en quatre sessions. Bof !!! Titre laborieux, du marcheur qui ne s’intéresse qu’au programme, pourquoi ne pas alors mentionner les kilomètres parcourus, les mètres grimpés, la sueur produite ? Sans intérêt, nous n’avons rien à prouver.
Plus tentant serait « De Roncevaux à la Brèche de Roland », établissant une passerelle entre nos leçons d’histoire et de géographie du cours moyen. Titre très justifié puisque nous parcourrons exactement ce trajet, suggérant au lecteur de s’interroger sur le pourquoi et le comment d’une toponymie entièrement sous-tendue par le mythe de Roland. Comment Roland est-il à la fois en retraite à Roncevaux au son de l’olifant et ouvrant une brèche gigantesque à Gavarnie pour y briser son épée Durandal, deux lieux que séparent nos douze jours de marche bien remplis ? Mais ce titre friserait le didactique, voire l’interro écrite surprise, terrible angoisse de CM2, trop dur !!!
Plus énigmatique serait « Maud androgyne», titre bien plus justifié. Quoiqu’une première réaction puisse faire douter d’un quelconque rapport entre notre sujet, un joli parcours de rando pyrénéen, et ce titre saugrenu, genre qu’est-ce que le smilblick ? Pourtant le rapport est limpide, il n’est de bonnes randonnées que celles des belles rencontres. Lorsqu’au soir de notre première étape caniculaire, à Hirriberi, village pauvre de la Navarre espagnole, aux maisons décrépites toutes flanquées de proprets jardinets potagers, haricots et patates en été, fèves et choux en hiver, nous voyons surgir une jeune randonneuse, remontant la rue principale jusqu’à disparaître à la sortie du village en direction du causse surchauffé qui le surplombe, et dont le topo nous alerte qu’on n’y trouvera pas d’eau sur vingt kilomètres à suivre, nous ne savons pas encore que nous marcherons une semaine avec Maud. Elle passera cette nuit là-haut.
Ensuite nous croiserons Maud ici et là, surtout là d’ailleurs, sortant d’un fourré, débouchant au croisement, montant sa micro-tente avant l’orage, absorbant un bol de café au lait au pasage d’un refuge, partageant une cerveza avec deux catalanes sur le même plan … Maud est allemande, elle doit avoir vingt-cinq berges, elle dispose d’un break de deux mois, le temps de faire le GR11 seule, en absolue liberté, jouissant de l’effort en pleine nature. Elle n’a peur de rien. C’est une solide, d’allure frêle et robuste.
Mais elle ne se contente pas d’associer ces contraires, elle est aussi garçon et fille, andros et gyné. Pas de poitrine, une voix d’entre deux, un grammuche plus féminine, elle paraît de ces êtres pour lesquels la nature n’a pas voulu décider du genre. A elle ou lui d’en décider, nous n’en parlerons pas bien sur, mais c’est certainement un choix compliqué pour soi et vis-à-vis des autres. Peut-être les quarante à cinquante jours de la randonnée, car elle et lui prévoient d’aller ensemble de bout en bout, sont-ils l’épreuve par laquelle se révèlera sa décision ? Ou pas ? Nous ne le saurons jamais, l’éphémère restant le trait commun de ces rencontres où l’on partage intensément si peu.
A Sallent-de-Gallego , pittoresque village placé au pied du Balaïtous, à l’histoire ancrée dans le premier ski espagnol, nous nous lions avec l’épicière, qui pratique un français absolument impeccable, idiomatique et sans accent. Quelle surprise, quand nous sommes déjà habitués à cette espèce de yoyotement avec lequel les espagnols parlent le français ! Ses parents tenaient l’épicerie, bien placée au centre du village. Ils l’envoyèrent dès le collège en France à Bagnères-de-Luchon pour y apprendre le français. Elle y restera jusqu’au brevet, loin des siens.
C’est qu’il fallait alors apprendre le français, dans une Espagne pesamment franquiste, terriblement pauvre, où l’argent venait des clients français de l’épicerie, ou encore des travailleurs espagnols en France. Cinquante ans plus tard, elle a soixante-quatre ans, ses parents sont morts, elle tient seule l’épicerie, rien n’y a changé. Elle n’a jamais embauché, trop peu de chiffre, elle ne s’est jamais mariée, beaucoup trop de travail, le piège s’est refermé. J’aurais dû faire autre chose, nous dit-elle. Destin d’épicière. Bouleversant. Ses produits artisanaux sont formidables, en particulier un fabuleux salcichon artisanal produit en Aragon.
Nous croisons ou sommes doublés par des marcheurs solitaires, des hommes, à la cadence mécanique et rapide, à la limite du pas de l’oie, les yeux sur la pointe des godasses, dont le ¡Hola! borborygmé est moins que réglementaire. Ceux-là, qui paraissent avoir un sérieux compte à régler avec eux-mêmes, et avec les autres, parcourent le GR11 comme on traverse un long tunnel. Dans l’espérance d’entrevoir la lumière au bout, mais pas en chemin. Chacun son trip.
Au soir ils prennent quelques notes serrées qu’ils s’écrivent, à moins que ce ne soit à Dieu, de toute façons en poste restante, c’est pareil. Il est vrai qu’il est plus sur d’entamer une telle aventure seul qu’en groupe. Trop d’aléas, de choix, de risques se trouvent sur ce chemin atrocement cabossé de cols élevés, de pierriers et de vallées encaissées, pour parvenir à l‘accomplir en parfaite symbiose. Je me souviens de ce belge qui avait dû couper le ruban prématurément vers Vielha. Partis à trois belges, l’un s’était fait une entorse du genou dans un pierrier, l’autre s’était défoncé les pieds à coup d’ampoules. Trois belges moins deux belges, les lois de l’arithmétique étant universelles, il ne restait qu’un belge. Il n’eut pas le cran ou le plaisir de continuer seul, solitude et belgitude s’accordant mal.
Mais il est d’autres rencontres qui suggèrent un titre pour enfants, ou pour la part d’enfant qui reste malgré tout sous nos têtes blanchies, ce sont celles des animaux.
Disons le franchement, à ce stade de la confession, je n’aime pas la vache. Plus encore je hais les troupeaux de vaches. Lorsque ces troupeaux rassemblent des centaines, des milliers de vaches, la colère me monte façon gilet jaune à la vue d’un radar de vitesse.
La vache est laide et puante, elle ravage la végétation, elle hache les sentiers, elle cloaque les points d’eau, elle gueule nuit et jour, elle produit d’énormes bouses diarrétiques qui résistent des années à toutes les intempéries. Alors sous l’effet d’un facteur 100, 500, ou 1000, la verdoyante vallée que nous avions espérée sur le topo se transforme en un slalom nauséabond, à repousser les essaims de mouches à m…. que ces déjections affolent. Bien sur le titre serait ici « Mort aux vaches ! » à projeter en pâteuses lettres de bouse sur tous les murs de ces villages de montagne.
Pour ceux qui resteraient sur un romantisme vaguement pastoral, enclins à broder sur clochettes, estives et pacages, qu’ils dégrisent ! Les éleveurs qui lâchent ces hordes, ces armées de beuglantes ne sont ni plus ni moins que des éleveurs industriels, peinant à extraire leur bedaine d’un 4×4 sur-motorisé, dopés à la subvention européenne, captant à leur profit une nature exceptionnelle pourtant faite pour tous, iris, asters, valérianes, lis, gentianes … randonneuses, randonneurs et autres animaux endémiques de la montagne. Unissez-vous contre ce fléau!
Et quand, dans la ferme charentaise de mon enfance les quelques vaches noir et blanc pop portaient toutes un nom charmant, ici leurs oreilles décollées sont badgées, deux badges plastique par oreille, fluos, qui ridiculisent leur yeux bovins, sans compter l’inévitable cloche que la pauvre bête entendra toute sa vie dès le moindre mouvement. Imaginez un instant d’en être affublé, d’une cloche destinée à vous localiser ! C’est un traitement que l’on réserve chez l’homme qu’aux plus dangereux criminels, et encore s’agit-il d’un bracelet électronique silencieux.
A l’opposé se situent isards et marmottes, bien moins nombreux, qui, eux, passent l’hiver là-haut … C’est ainsi que nous traversons des villages de marmottes, suggérant un titre rap bien plus avenant avec «A la ci/té des mar/mottes, ni va/ches, ni dea/lers, … que du bon/heeeuuur là/haut à un neuf neuf trois mètres d’al/ti/tu/de », important de bien détacher les syllabes à l’intention des mal-entendants, forcément avec un bonnet et une capuche on entend trop mal.
A la cité des marmottes on y voit des marmottes qui gambadent, qui batifolent en groupe, toutes vêtues d’une belle fourrure brune. On y adore la marmotte guetteuse, droite, posée sur son train arrière, les courtes pattes de devant en prière, le museau au vent, à l’affut. Elle ne détale vers son trou que lorsqu’on s’en approche de trop près pour coincer son image dans notre machine à photos. Manifestement cette distance d’approche varie selon le lieu. Sur le tracé du GR la distance est assez grande, la marmotte a du apprendre à se méfier des marcheurs, plus généralement des bipèdes.
Hors sentier, et oui nous sommes mêmes risqués hors sentier, la marmotte s’affiche rousseauiste, elle n’a pas appris à se méfier de l’Homme, avec ce même grand H qu’Horrible, elle fait presque comme s’il ne se passait rien à notre passage. Merci gentille marmotte, douce peluche de montagne, de n’avoir pas plus peur de nous que nous n’avons peur de toi. Profites bien, et que les vaches restent éloignées de ton territoire !
Terminons cet intolérable suspense par le vrai titre de cette chronique. La patience a des limites. Il contient « col », parce que le col, les cols, sont le marqueur de ce GR11, on les redoute pour la quantité d’efforts à fournir, sac de 14 kilogrammes sur le dos, pour le temps qui peut y être exécrable avec le vent, le brouillard, les névés prompts à en barrer l’accès, la trace qui s’y perd, bref ce qu’il faut bien appeler les difficultés, mais on adore les cols, car ils jalonnent l’espace et le temps de la randonnée, ils sont la porte de communication entre deux territoires, celui qu’on a parcouru, celui que l’on va découvrir, si différent à chaque fois.
Très souvent on y marque la pause, contents de ce que l’on a fait, contents de ce que l’on fera, communiant avec d’autres randonneurs qui fonctionnent comme nous, etc… Alors on y va pour « Ces cols, c’est cool ! ».
Dans cette série il y a le col qui fait peur, à son approche on s’effraie d’une pente ultra-raide, sans aucun passage évident … Il demande une grosse confiance en soi, elle-même portée par des jambes assez solides. Surtout lorsque après avoir pris une trace, celle-ci vous emmène dans un éboulis instable, un névé glacé, … Avec un peu de malchance on y touchera un vent violent, ou glacé, pourquoi pas un bonne pluie.
Le col le plus risqué est sans conteste celui qui est noyé dans les nuages, la visibilité nulle ou presque, et où la trace a de bonnes chances de se perdre, alors gare à ne pas s’engager sur une fausse sente qui vous perdra en cinquante mètres.
Le faux-col, c’est celui que l’on voit de loin, qu’on rejoint longuement en poussant sur les batons, ouf ! mais enfin sur la ligne, le vilain traître ! Car le vrai col est encore quatre-vingts ou cent mètres plus haut, on ne le voyait pas d’en bas, alors il faut remettre sans barguigner du charbon dans la machine.
Les mystiques apprécient le col Bernadette Soubirou, où l’on prend le soleil dans les yeux, dont s’échappent des rayons célestes qui viennent frapper directement le passage, comme des balises divines, venez par là nous disent-ils en mahométan. Il faut s’en méfier encore plus que des autres, ces hallucinations viennent clairement d’un grave abus de randonnée, une drogue parmi les plus dures, qui vous engage dans la traversée d’un paysage intérieur dont personne n’a encore bien dressé la carte.
Les pressés s’éclatent sur les cols autoroutiers, ou le sentier est exceptionnellement roulant, trop facile, parce qu’un jour il a servi de chemin pour la construction d’un barrage, ou autre tunnel, c’est bien qu’il n’ait pas été transformé en piste tristoune.
Il y a aussi le col belvédère où l’on se fait un plaisir de nommer tous les sommets environnants, jusqu’à 30 ou 40 kilomètres de distance, alors, carte et boussole en main, je te dis que c’est le Visaurin, mais non, mais oui, mais si, alors on demande à l’espagnol qui n’est pas loin, c’est bien là le Visaurin ? Non, il ne connait pas ! Alors ce sommet là c’est quoi ? Le Bisorine !
Alors déjà fini ce GR11 ? ¡Qué pena! Adios !!!
Bravo pour l’exploit sportif et mais aussi littéraire. Tout y est: style ,humour, suspense – on va le connaitre oui ou non le Titre? Récit très ancré dans l’actualité avec la question du genre…!!.Bref un plaisir de te lire encore un fois
merci pour ces nouvelles aventures, sur la « frontière sauvage »…
Quel bonheur de participer à votre voyage grâce à votre récit. J’espère vous revoir très bientôt et je vous embrase
Marie Pierre
splendide final ! #fieredesesparents 🙂