Dans les tribus du grand sud éthiopien
Le grand sud éthiopien nous transplante dans un monde où toutes nos références sont caduques. Ici vivent des tribus dont la culture n’a pas (encore) été altérée par l’Occident. Dans les villages l’électricité n’est pas arrivée. Nous sommes comme jamais des étrangers, des pièces rapportées sur cette terre qui ne nous appartient pas, craignant de déranger, même de façon infime, un ordre social immémorial.
Les tribus sont d’une incroyable beauté.
Les femmes impressionnent par leur classe naturelle, parées de multiples bijoux et ornements, inventifs, colorés, la peau scarifiée de motifs artistiques, toutes occupées à des tâches domestiques, éreintantes.
Dans les tribus Mursi, aux confins de l’Ethiopie, non loin de la rivière Omo, l’usage commande d’insérer des labrets dans la lèvre inférieure et dans les lobes des oreilles. Ces labrets sont terribles, jusqu’à une quinzaine de centimètres de diamètre. C’est extrêmement impressionnant, la lèvre formant un arceau totalement disjoint de la bouche. Hommes et femmes s’affichent avec toutes leurs parures quand nous leur rendons visite.
Comment communiquer avec eux ? J’ai la sensation qu’en faisant des photos, des portraits, nous montrons notre admiration, notre respect, pour leur beauté, leur culture. Mesdames, vous venez de loin, de cette Afrique dont l’humanité est partie il y a des centaines de milliers d’années, bien avant qu’en Europe on esquisse les premières peintures rupestres. Vous rayonnez pareilles à ces étoiles dont la lumière nous atteint aujourd’hui, si vive, émise il y a extraordinairement longtemps. Vous surgissez du passé de l’humanité, hiératiques, splendides, pareilles à vos aïeules, quand nous sommes entrainés dans le toboggan infernal du changement, la vanité insigne de la mode et du hood.
Les femmes des tribus Hamer se distinguent par leurs coiffures, les cheveux tressés en un casque serré, enduits d’un mélange contenant de la terre, ils sont ocres, bruns, rouges, d’une couleur parfaitement assortie à leur peau et au lieu. Ces femmes sont extrêmement belles et apprêtées. Leurs vêtements et leurs accessoires sont rigoureusement codifiés par leur statut social. Les femmes mariées portent des colliers avec pendentifs, le nombre de colliers selon leur hiérarchie, première, seconde ou troisième épouse. Grands colliers de coquillages, peaux de chèvre tannées, calebasses, leur donnent une allure extraordinaire, unique au monde. Sur les marchés elles sont bavardes, rieuses, délurées, amicales, … se liant facilement à la visiteuse.
Les jeunes filles Daasanech, au-delà de la rivière Omo, portent des coiffes faites de capsules de bouteilles, elles ont un regard plein d’étonnement, droit, émouvant, qu’on ne peut pas oublier. Jeune femme, pourquoi me regardes tu ainsi ? Surprise ? Réprobation ? Inquiétude ? Mélancolie ? Je n’oublierai pas ces yeux. Plus âgées, elles portent enfants et jarres, droites comme des i. sous la charge.
Les hommes frappent autant par leur allure, des athlètes, tout aussi parés de bijoux et d’accessoires destinés à plaire ou impressionner. Depuis notre entrée dans le sud éthiopien nous nous sommes presque habitués à ce que les hommes portent en permanence une kalachnikov à l’épaule. Dans cette région de tribus et d’éleveurs, vivant en autarcie aux confins de l’Ethiopie, du Soudan et du Kenya, la défense du territoire de chasse et du cheptel justifie le port d’armes. Les rixes et les combats font partie des coutumes bien établies. Mais nous ne saurons rien de bien précis à ce sujet, sinon qu’on ne s’invite pas à l’improviste, on se fait discret devant ces hommes fiers et insolents.
Partout des enfants, sur le dos des mères, dans les huttes, dans les cours poussiéreuses, au bord de l’eau, rare, sur la route … Comme tous les enfants du monde, joueurs, rieurs, étonnés, courant au plus vite, déjà ornés de parures, dessins à la peinture.
Que deviendrez-vous? Cent millions d’habitants en Ethiopie, chrétiens, musulmans, animistes, près de 80 ethnies différentes, cela tiendra-t-il ? La Chine y a acheté d’immenses territoires, elle trace les routes, multiplie les réseaux pour le téléphone portable, exporte à Addis-Abbeba ses pires produits …