L’expérience du Pisco Sour

Avant d’entrer dans le vif du sujet, je vous soumets trois questions sur la course du soleil. A votre avis, à Santiago du Chili, qui se situe dans l’hémisphère sud :

1/ Où le soleil se trouve-t-il à midi : au sud ou au nord ?

2/ Où le soleil se lève-t-il : à l’est ou à l’ouest ?

3/ Le soleil se déplace-t-il de la gauche vers la droite, comme à Paris, ou de la droite vers la gauche ?

Maintenant que vous avez tenté de répondre, voire répondu, à ces questions délicates, je vous livre les résultats que nous avons pu établir grâce à l’expérience inattendue du Pisco Sour. Le Pisco Sour ? C’est un cocktail qui paraît être au Chili ce que le pastis est à la France, c’est-à-dire l’apéritif de référence. Nous étions donc très impatients de porter un premier Pisco Sour à nos lèvres.

Cette dégustation fut l’objectif d’une randonnée à vélo dans Santiago, vers le Barrio Brasil, endroit où la multiplicité des bars nous laissait espérer la réussite totale de ce projet. Mais à un carrefour un peu confus, il nous fut nécessaire de nous orienter. Prenant notre plan de ville à quatre mains et nous référant au soleil bien présent pour nous repérer, nous arrivâmes à la conclusion que nous étions carrément perdus. Les informations dont nous disposions étaient totalement contradictoires, selon le plan il fallait prendre à gauche, selon le soleil à droite … Malgré cette confusion nous trouvâmes par chance un superbe bar, le « Tales », de style art déco, avec un très joli balcon sur rue où la carte des Pisco Sour était particulièrement attrayante.

Il était alors environ 7 heures du soir. L’ambiance était sud américaine comme on l’imagine, chaleureuse, un brin folâtre, ne manquait qu’un air de bandoléon. Installés au balcon nous décidâmes d’immortaliser notre initiation au Pisco Sour par quelques photos que je me dépêchai de prendre et de faire prendre par la serveuse. En effet le beau soleil qui éclairait encore le balcon commençait à s’effacer derrière un mur proche, nous annonçant sa disparition rapide!

Nous pûmes alors nous concentrer sur le Pisco Sour, buvant gorgée par gorgée, très lentement, pour en apprécier toutes les qualités. Excellent : couleur lagon, frais, délicatement parfumé au raisin, sucré et acidulé à la fois. Un plaisir ! Cette dégustation durait depuis un certain temps lorsque nous rendîmes compte que notre balcon était de plus en plus éclairé par le soleil ! L’astre du jour au lieu de disparaître derrière le mur ne faisait au contraire que s’en éloigner, et n’étant plus gêné par ce mur, nous livrait alors tous ses rayons.

Cette constatation nous surprit ! Avions-nous abusé de cette boisson locale pour en être au stade des hallucinations? Nous plongeâmes alors dans une intense réflexion du type : qu’est-ce qui se passe dans l’hémisphère sud avec ce soleil, qui trompe ainsi nos plus de 120 années d’expérience cumulée, dont nous croyions tout connaître?

Reprenant nos esprits nous aboutîmes à quelques résultats.

Tout d’abord si dans l’hémisphère nord nous voyons la course du soleil au sud, et que le zénith montre la direction du sud, c’est parce que la trajectoire du soleil se situe dans un plan proche de l’équateur terrestre. Or, comme chacun sait, l’équateur terrestre constitue la limite sud de l‘hémisphère nord, ce pourquoi on y voit le soleil au sud. Mais pour l’hémisphère sud, à l’inverse, l’équateur terrestre constitue sa limite nord. Donc à Santiago du Chili, on voit la course du soleil dans le nord, et à son zénith le soleil montre exactement la direction du nord. Ce qui explique notre erreur en nous orientant avec notre plan. Nous avions simplement oublié que le soleil était ici vers le nord et non pas vers le sud !!!

Ensuite dans l’hémisphère sud comme dans l’hémisphère nord le soleil va d’est en ouest. C’est normal la terre ne change pas de sens de rotation à l’équateur!

Mais pour celui qui observe cette couse du soleil dans le ciel, le soleil va de droite à gauche dans l’hémisphère sud, quand il va de gauche à droite dans l’hémisphère nord !!! En effet quand on regarde le soleil en passant de l’hémisphère nord à l’hémisphère sud, il faut littéralement se retourner, et donc ce qui était à gauche passe à droite, et vice versa. Ce qui explique qu’au balcon de notre bar, le soleil au lieu de disparaitre derrière le mur en allant de gauche à droite, comme nous nous y attendions, ne faisait au contraire que s’en éloigner en allant de droite à gauche.

Conclusions possibles de tout cela ? Première conclusion, la preuve des vertus relaxantes et stimulantes des cocktails. Dans cette perspective le Pisco Sour brille particulièrement à Santiago. Seconde conclusion, ce dont nos sens nous informent, auquel nous croyons dur comme fer, que nous prenons pour une vérité universelle, n’est que le reflet de notre modeste cadre local, et ne vaut rien au-delà !

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