Le cri du lion dans la brume
Chiloé nous a retenu sur la route du sud. Notre curiosité y trouve son compte. Test du «curanto al hoyo» à Quetalmahue. Le curanto, si l’on admet les définitions absurdes, c’est un peu comme une choucroute de la mer sans chou, mais avec la mer quand même. On garde les viandes fumées, des moules énormes, des clams, et puis une galette de pomme de terre et de blé. C’est le plat du dimanche des paysans pêcheurs de l’ile, préparé et partagé en communauté. Nous l’avons dévoré après un parcours vélo très vallonné à l’aller, et le même parcours au retour, plus vallonné encore.
A Quemchi où a grandi Francisco Coloane, référence de l’écriture puissante du Sud, frère de lettres d’Henri Queffélec, visite de la maison qui lui est dédiée. Nous sommes les deux seuls visiteurs de la journée, ravis.
A Huya sur l’ile de Quinchao où nous sommes venus sur nos vélos d’un coup de bac et de reins, nous dégustons une mémorable «docena de ostras». Dans ce petit resto, loin de tout, c’est un lettré qui nous reçoit. Pour le plaisir de faire connaître ses huitres en échangeant sur la culture chilote et l’état du monde.
Coup d’oeil sur les « palafitos », l’attraction de Castro, capitale de l’ile.
Découverte de fascinants chantiers de marine en bois, musées vivants de la charpenterie de marine. Notre respect pour ces hommes de métier.
Surprise, alors qu’attablés dans un palafito nous profitions des « congrio » et « merlusa », nous voyons émerger deux têtes de lions de mer. Juste là, en ville, devant les pilotis qui nous supportent, comme les chanteurs de rue.
Nous avons bien aimé Chonchi sur la côte Est avec ses bateaux de pêche. Notamment un gros bateau qui pêche dans les parcs à saumons. Pas compliquée la pêche. Le bateau dispose d’un aspirateur surpuissant qu’il plonge dans le bac à saumons. Les malheureux saumons, qui déjà n’ont pas eu une vie fantastique, sont sucés par une grosse gaine d’aspiration, puis éjectés sur le pont sur une table de travail. Là on leur donne un bon coup de masse sur la tête. « Muertos » les saumons ! On les vide et les découpe. Une autre gaine de refoulement propulse alors le produit fini vers la cale. Grace au pêcheur chilote qui nous a fièrement détaillé cela, nos connaissances en espagnol piscicole ont fait un bond. Mais le goût de manger du saumon reculé d’autant.
Nous avons encore plus aimé Cucao sur la côte Ouest, au bord du Pacifique, pour son air de bout de la route, comme le Biscarosse de notre enfance. L’endroit se trouve à la fois à l’extrémité du très grand lac Huillinco, et derrière une immense et rugueuse plage, où déferlent bruyamment des rouleaux larges d’un kilomètre. Mais il est aussi à l’entrée du Parc National Chiloé, essentiellement composé de forêt humide, ambiance Tim Burton.
Nous nous y sommes posés pour trois jours, avec notamment l’objectif d’y voir la colonie de lions de mer établie sur une pointe à environ 10 kilomètres au sud de Cucao. Par une journée où le temps s’annonce très beau, après un magnifique lever de soleil, après la toilette du vautour, nous quittons le meilleur hôtel de l’endroit, à vélo, sur la piste menant aux lions.
Pas une partie de plaisir la piste ! Ca monte et ça descend grave, sur une piste très gondolée. Il faut mettre pied à terre en montée, mais surtout en descente, sauf à dévisser. Le paysage est splendide. Encore plus splendide avec la brume qui monte du Pacifique et s’épaissit. La lumière se tamise. Une bonne occasion de passer en mode noir et blanc. Extase ! Le Pacifique, la brume, la piste, les vélos, le noir et blanc, les lions de mer au bout …
On récupère dans une ferme du bout du bout du monde, pour 1500 pesos/personne, la clé qui ouvrira le chemin d’accès aux lions.
Encore un bon kilomètre sur la piste mal carrossée mais bien cabossée, puis encore un kilomètre sur un sentier saute-moutons pour arriver à la pointe. En rentrant on s’inscrira à Fort Boyard. Le sentier plonge enfin vers le belvédère où l’on verra les lions.
Mais, fichtre, on ne les voit pas les lions, parce que cette brume adverse nous les cache !!! Après tous ces efforts ! Alors on attend là que la Madame la Grande Brume du Pacifique veuille bien se lever, même si nous sommes dimanche matin.
Soudain on entend par-dessus le ressac un mugissement tragique qui monte, puis un autre en écho, puis encore un autre. Ils sont bien là les lions de mer, à portée d’ouïe. Mais pas à portée de vue. Perchés sur notre falaise, dans cette brume qui nous voile, ces mugissements étranges, le ressac qui tape dur, le moment a quelque chose de fort … Il faudrait mettre ça en comprimés pour les jours sans relief.
On ne verra pas les lions de mer aujourd’hui. Mais on aura entendu le cri du lion dans la brume, la brume de Chiloé.
Hasta luego
J’adore cette idée : » mettre ca en comprimés pour les jours sans relief » !
Bonne continuation et bon » bout d’an » comme on dit en Provence , à l’autre bout du monde !
Merci de nous avoir ouvert les portes de la maison de Coloane fermée lors de notre passage il y a trois ans déjà. Comme vous, nous gardons dans nos papilles et notre odorat le souvenir du curanto où les moules sont aussi larges qu’une main.
Par contre vous nous avez fait passer le goût du saumon.
On reste suspendu à l’ordi en attendant la suite .
Bises
Marie
Quelle aventure ! vous nous faites rêver, merci !