Le cœur des gîtes, par Sylvie
Le jour, le marcheur est acteur de sa réussite tandis que le soir à l’étape, il confie la reconstitution de ses énergies à autrui. Il s’est invité. En approchant du gîte il pressent de petits bonheurs qui lui feront cueillir les fruits de ses efforts ; il connaît le goût de la première gorgée de bière mais ne conçoit pas ce qu’il nommera demain « croustade médiévale, gigot fondant ou vin gouleyant ». Si les premiers kilomètres défilent sous ses pieds comme la mer sous le voilier, sans heurts, tout absorbé par les horizons grandioses, la fin des longues étapes enfle l’armada de rêves enveloppants et douillets. Il sait qu’il est attendu, il sait que les brouets des marmites surprendront ses avides papilles et que ses hôtes conjugueront leurs talents pour dessiner un lieu et lui donner une âme.
Ces promesses se sont concrétisées dans la diversité étonnante des accueils. Nous fûmes reçus au départ d’Aguilar par une ancienne professeur d’anglais, et son mari irlandais, puis par Ludmilla et Ieroslav qui n’avaient pas eu le temps de passer du russe au français, à Caudiès-de-Fenouillèdes. A Comus, Ellen et Gunther, belges flamands, nous ont fait découvrir les charmes de la yourte car malgré la proximité des couchages les 11 coturnes ont délicieusement dormi dans un calme inenvisageable… Le grand sourire de Graziella à Montségur venait peut-être de ses origines espagnoles, tandis que David, le troubadour écossais, nous plongeait à Roquefixade dans une ambiance musicale médiévale pendant que sa femme nous comblait de ses recettes anciennes inédites. Valérie et moi avons pu esquisser une valse à même le bitume lorsqu’il a accueilli le groupe avec son accordéon…
Après quels cheminements tous ces déracinés avaient-ils adopté les Corbières, l’Ariège ou les Pyrénées orientales ? Nos haltes rapides – qui exigeaient une rude besogne à nos aubergistes -n’ont pas permis de tracer un schéma général, … mais ne délaissons pas les français, souvent originaux et non-conformistes, qui nous ont accordé l’hospitalité ailleurs!
Ceux-là ne manquaient ni de courage, ni de personnalité : Petit Louis au relais du Sault à Espezel campait le paysan au béret basque bien enfoncé sur le caillou, entreprenant, et infatigable: il avait étoffé son activité paysanne par une épicerie, le gîte que nous occupions et d’autres activités entrepreneuriales. S’il semblait débonnaire par son tour de taille gargantuesque il n’en était pas moins fin stratège!
L’engagement politique, avec une adhésion à la Confédération paysanne nettement affichée, était clairement énoncé à l’Accueil paysan de la Bastide. Neli, l’épouse allemande de notre hôte, coordonnait les communications d’Amnesty international grâce à sa maîtrise de trois langues. Très différents étaient Françoise et son mari, les marionnettistes de Puivert, qui avaient choisi de quitter la région parisienne pour se consacrer un temps à leur art, puis aux marcheurs, cavaliers et chasseurs de passage. Néo-ruraux étaient aussi les propriétaires de l’Embellie cathare à Peyrepertuse, heureux et prodigues, dans leur bric-à-brac coloré et sympathique, à la griffe un peu kitsch. Il me faut aussi mentionner Patrick, le solitaire de Labau, vestige d’une communauté bien fournie dans les années 1970. Sous son austérité et son caractère taciturne, on a vite deviné une grande bienveillance, illustrée par les deux succulents gigots!
Composites, hétérogènes, disparates, nos haltes nous firent croiser des êtres passionnants et passionnés, ayant en commun le goût des autres et le désir non feint de réjouir leurs commensaux. Aucun lieu de repos ne nous a semblé figé, pris dans la gangue de la répétition qui peut frôler la saturation. Ces chemins cathares peu fréquentés nous ont permis des rencontres avec des personnalités hors du commun…. comme chacun d’entre nous dans ce groupe, d’ailleurs !!!