Randonnée de Banyuls à Llivia, étape 2, entre harmonie et chaos
Il y a quelque chose de troublant à embrasser d’un seul regard, depuis notre bivouac sur la crête de la Massane, la côte du Roussillon au nord, le Cap Creus à l’Est, tout au bout du bout des Pyrénées, quand elles lâchent prise dans la grande bleue, et au sud, la grande baie de Rosas.
Nous avons de tous ces lieux des souvenirs précis, associés à des tranches de vie consistantes. Au Cap Creus nous y avons essuyé force huit et arraché un vit-de-mulet dans un empannage incontrôlé. Nous avions alors rejoint Majorque sous foc seul, le cul du voilier propulsé par les trains de vagues. Mais la tramontane et le souvenir de sa violence, redoublée au Cap Creus, était définitivement imprimée en nous. Le Roussillon, nous l’avions si souvent traversé en toute indifférence, avant de le connaître mieux grâce aux amis heureusement installés ici. Vins de caractère, accents marqués, platanes durement agités par le vent, places ombragées, …
La baie de Rosas, un arc de sable, splendide, où la tramontane est masquée par la colline, et où l’Espagne, pour être correct la Catalogne, se déguste en tapas trompe-la-faim. Nous y avons amarré notre voilier plus d’une fois, entre les bateaux de pêche qui appareillent à 4 heures du matin à grands claquements de diesel, avant de plonger vers les Baléares.
Dans ce regard du matin hypnotisé par un si large espace-temps, il faut choisir entre les souvenirs qui affluent et le seul plaisir de l’instant, le soleil qui monte, la mer qui miroite, la montagne qui nous porte, avec lesquels nous sommes en parfaite harmonie. On n’est pas mal, aurait dit l’ami Daniel, qui savait résumer une situation.
Cap à L’Ouest, nous traversons des vallons herbeux et cette grande forêt d’altitude, tout à fait magnifique, si fraîche dans ce pays caliente, grimpons vers le Pic Neulos, avant de redescendre progressivement vers la forêt de chênes-lièges et de rejoindre cette étrange zone du Perthus.
Lorsque l’on prend l’autoroute pour rejoindre l’Espagne, le Perthus n’est qu’une étape, une banale pancarte d’autoroute, qui certes signifie le passage de la frontière, mais ne perturbe en rien le long déroulé de bitume. Les Pyrénées ne dérangent pas ici, elles se cachent, pas même besoin de lâcher le champignon.
Bien au contraire, lorsque l’on randonne en pleine nature dans l’axe des Pyrénées, et qu’on vient percuter le Perthus, c’est une énormité, une chose atroce, une rupture de contrat, un machin ahurissant ce Perthus.
Il y a d’abord le franchissement du viaduc de l’autoroute, que l’on fait en se faufilant en contrebas, sous les énormes piles béton. Là-haut vrombissent les trente-huit tonnes, bonjour les particules fines. L’un affiche « Machin-bidule is the green way », l’autre « Bidule-machin is the health solution» … La communication, ce n’est jamais plus rien d’autre qu’une intoxication? Du globish nul.
Ensuite nous traversons le bourg du Perthus soi-même.
Chaotique, ce bourg ! La droite de la rue principale se veut française. La gauche en est espagnole (catalane pour être correct). A droite donc subsistent quelques commerces français souffreteux, rachitiques, limite faillite, où l’on donnerait volontiers la pièce au gérant, aussi peu aimable soit-il. A gauche donc les supermarchés espagnols, alcools, vins, tabac, babioles en plastoc, chinoiseries made in China, vu à la télé, … pleins de français avides de bonnes affaires. Au milieu bagnoles et bagnoles, normal quand les PO y affluent pour payer le gazole 10 ou 20 centimes moins cher.
Comme les Pyrénées sont affligées de cette blessure!
Accélérons, cap à l’ouest, on ne sait pas où l’on dormira, mais pas ici.
Qu’en est il du Canigou qui sert presque d ‘amer quand on navigue de Cap d’ Agde à Gruissant ?
Le Canigou domine toute la région avec 2785 mètres d’altitude, c’est pourquoi on le voit très bien de la mer, pourtant à une cinquantaine de kilomètres. Les Albères, dans le sud-est du massif du Canigou, en sont nettement séparées par la vallée du Vallespir.