De Banyuls à Llivia, étape 6, les balcons de la chance
Nous quittons l’ermitage de Sant Aniol par une enfilade de gorges spectaculaires, que le chemin franchit en corniche. Il fait frais, il fait beau, les vues sont variées, la pente est agréable, il fait heureux, nous nous extasions.
Julie nous a devancés. Au premier col nous croisons un jeune randonneur. Il vient de La Gomera … aux antipodes du territoire espagnol, cette Canarie où un cactus m’avait agressé, me plantant quelques dizaines d’épines dans le corps, extraites à la seringue.
Une longue descente, puis une longue remontée en sous-bois vers un second col, puis encore une longue descente, ensuite un peu (toujours trop) de marche sur une route et nous arrivons au village de Beget, le terme de cette courte étape, où nous comptons buller, oui buller à grosses bulles, jusqu’à ce soir et remplir nos sacs vides de toute provision.
Mais ce plan limpide capote. Beget, c’est un micro Mont Saint-Michel catalan complètement Viollet-le-Duqué, des touristes comme des nuées de sauterelles, pas d’épicerie, deux restos qui refusent de nous vendre du pain, bref la cata totale. Nous retrouvons Julie qui sort d’un resto où elle a dû laisser une journée de sa solde de prof de math.
Nous hélons au hasard une femme à un balcon d’un pur style Roméo et Juliette, lui demandant si elle pourrait nous fournir du pain, et puis aussi de quoi mettre dans le pain, faute de commerce ouvert. C’est une anglaise. Elle compatit à notre sort de randonneurs. Elle disparaît, puis descend de son étage, un sac plein de nourriture, british oriented certes, mais ça se mange! Sa fille est aussi là qui nous offre le reste de ses bonbons. Nous ne nous savions pas aussi convaincants. Many thanks, that’s so kind ! Enjoy your holidays ! Nous quittons Beget, en route pour le plan B, on saura bien bivouaquer plus loin avec ce kit de survie.
Plus loin nous emmène droit dans une pluie battante. Elle nous contraint à nous mettre à l’abri dès la première maison recroisée. Nous nous abritons sous son balcon, de style Roméo et Juliette. Notre plan B « tente et bivouac » capote à son tour, avec cette pluie qui a déjà tout détrempé. Un homme sort de la maison. Tentons un plan C, nous avons tout l’alphabet devant nous. Nous lui demandons si, par hasard, mais vraiment par hasard, il ne connaîtrait pas un gîte accueillant à proximité. Si, parfaitement, d’ailleurs il s’y rend avec sa voiture …
Aujourd’hui c’est « La solution est au balcon », une série dont nous tenons déjà la première saison!
Il nous conduit au gîte distant d’un kilomètre ou deux. Le soleil revient. L’accueil est très amical, nous grimpons vers le dortoir. Julie est là, que nous avions quitté à Beget, à deux heures d’ici, dans ce gîte inconnu de notre guide et non fléché. Qu’est-ce que cela signifie, ce sort qui nous tricote adieux et retrouvailles?
Le jeune propriétaire du gîte nous a prévenus, nous sommes samedi, ce soir ils font le retour de leur mariage ici-même, sous le dortoir, la fiesta quoi. Curieux car il est déjà huit heures du soir, et rien ne bouge. C’est seulement après vingt-deux heures que les invités, aussi nombreux que joyeux arrivent, avec force klaxons et cris catalans. Crevés et boules Quiès compactées à même les tympans, nous n’en pâtissons qu’à peine. Tandis que Julie fait sa seconde nuit tumultueuse en deux jours d’Espagne, la veille sa tente s’était retrouvée plantée au milieu d’un groupe de jeunes ados.