Aux Marquises, sur l’ile d’Hiva Oa, Jacques Brel
Nous avons laissé notre sloop à Uturoa, sur l’ile de Raiatea. Pas de regrets car le temps était alors passé au mauvais avec une pluie intense et continue, sous 20 noeuds de vent établi.
Nous avons pris un vol vers Papeete, et de là un nouveau vol vers les Marquises, précisément vers l’ile d’Hiva Oa. La distance entre ces iles est énorme, 2000 kilomètres … mais toujours en Polynésie française, au coeur du Pacifique Sud.
L’ile d’Hiva Oa, une lentille de 40 kilomètres sur 10, est terriblement montagneuse, volcanique, au relief chanstiqué, des cotes abruptes battues par la houle, sans abri, excepté l’anse d’Atuona, où niche un petit port.
Les voileux harassés par 2000 milles nautiques viennent y respirer le parfum de la terre retrouvée et se faire balloter dans un clapot incessant. Ici il n’y a pas de lagon, le corail n’a pas eu le temps d’en former. 9 degrés sud, l’ile est bien arrosée et couverte d’une végétation tropicale luxuriante.
Bref une belle Marquise, comme on l’imagine.
2000 habitants aujourd’hui, quand plusieurs dizaines de milliers d’habitants vivaient ici avant les européens, une civilisation animiste aujourd’hui disparue, sans écriture autre que les tatouages, mais dont les rites et les modes de vie sont assez bien connus grace aux importants vestiges archéologiques.
Nous plongeons ici dans une ambiance paisible, paisible, entre équateur et tropique, le rythme paraît comme ralenti. Même si les banals Toyota Hilux ont regrettablement remplacé les chevaux, tout le monde prend la peine de se dire bonjour en marquisien, rien à voir avec le tahitien, et kao’ha adressé avec un sourire devient vite notre meilleur passeport.
Hiva Oa a été popularisée par deux hommes de légende, aujourd’hui voisins de palier dans le cimetière d’Atuona, parmi les marquisiens.
Paul Gauguin, de son vivant ici une épave, alcoolique, pédophile syphilitique, gangréné, replié dans sa « maison du jouir« , complètement cuit. L’artiste maudit, non reconnu, mais inspiré, venu sur le tard s’échouer sur ce rivage, pour y exécuter ses dernières toiles magistrales, y crever plutôt qu’y mourir. Une enseignante d’Atuona nous explique qu’elle a fait la classe à de nombreux descendants de Gauguin… Quant aux ados assis sur les marches du cimetière aucun ne sait dire trois mots sur Gauguin. Incroyablement nous n’avons pas eu le temps de visiter le musée local Gauguin, tant ses horaires d’ouverture sont sur un rythme marquisien. Mais au cimetière, Gauguin ne nous a pas échappé. Une tombe épaisse de pierre marquisienne, aussi sombre que son client.
Jacques Brel, au contraire, est considéré comme un bienfaiteur par les marquisiens. Après ses adieux à la scène, Brel se consacra à deux grandes passions, le pilotage et la voile. Il possédait déjà un excellent niveau de pilote, avec une qualification IFR de vol aux instruments. Novice en voile, il décida pourtant d’entreprendre le tour du monde, avec sa compagne Maddly. Ce qu’il fit! Traversée de l’Atlantique, canal de Panama, traversée du Pacifique, mais atteint d’un cancer de la gauloise au bec, un poumon retiré entre-temps, il arriva avec Maddly complètement épuisé sur l’ile d’Hiva Oa. Ecœurés du bateau et emballés par le lieu, ils décidèrent de s’installer durablement, dans une modeste maison d’Atuona. Jacques Brel était complètement inconnu à Hiva Oa, pour un marquisien le plat pays ou les flamandes, c’est pas du grec, mais au-delà du sanscrit. Brel acquit un avion sur Tahiti, le fameux « Jojo« . Avec celui-ci il rendit beaucoup de services aux marquisiens, assurant le transport du courrier entre les iles, transportant les malades… Il suscita la modernisation de l’aéroport, fit aussi aménager un cinéma de plein air, etc.
Jacques Brel devint ainsi Saint Jacques d’Hiva Oa, dont la sépulture dans le cimetière d’Atuona constitue pour les marins un but de pèlerinage.
Sa tombe, sur une hauteur, face au Pacifique, sans croix ni artifice, est un monument de sérénité. Une stèle joliment gravée, une adresse poétique aux voyageurs de passage, quelques fleurs comme tombées des hibiscus environnants, et beaucoup de galets portant les hommages de tous ceux qui venus de très loin ont voulu laisser quelque chose… Nous y joignons pieusement notre caillou, ramassé sur une grève de l’ile.
Une véritable émotion nous saisit, quand on a que l’amour, les vieux, la Fanette, les bourgeois, Jef, Mathilde, .. putain c’était des textes, et on était trop jeune pour l’Olympia. On ne t’aura jamais approché aussi prés qu’ici, si loin, au fin fond du Pacifique. Quarante neuf ans, grand Jacques, t’es mort trop tôt.
Grand Jacques tu nous manque énormément…
Jojo,
Voici donc quelques rires
Quelques vins quelques blondes
J’ai plaisir à te dire
Que la nuit sera longue
A devenir demain
Jojo,
Moi je t’entends rugir
Quelques chansons marines
Où des Bretons devinent
Que Saint-Cast doit dormir
Tout au fond du brouillard
Six pieds sous terre Jojo tu chantes encore
Six pieds sous terre tu n’es pas mort
Ca donne envie de se faire une intégrale du Grand Jacques tout ça. Quel contraste entre les images et les chansons !