Don Felipe où sévissaient les FARC
Notre support en Colombie, Aventure Colombia, nous avait proposé un trek au nom prometteur, « El camino verde », trois jours dans la Cordillera centrale, au coeur de l’Antioquia, à l’est de Medellin. Nous avions alors coché la case.
Aussi lever à 5 heures du matin pour rejoindre en voiture le point de départ à 3h30 de route. La vitesse moyenne ne dépasse jamais 30km/h, et peut vite tomber à 10 ou 20km/h quand la route perd son cap dans des séries interminables de lacets entrecoupés de travaux et surchargée de camions poussifs.
Apres quelques péripéties le contact est établi avec notre accompagnateur, Rosco, un grand gars épanoui, d’allure sportive, quoique fumeur invétéré. Dans un espagnol roucoulant, il me donne du « Don Felipe » dès les présentations, m’évoquant irrésistiblement le Don Diego, alias Zorro, de notre enfance.
Nous voilà partis pour trois jours dans l’inconnu.
Le départ est très doux, suave en español, 400 à 500 mètres de montée, une broutille dans une campagne toute tropicale, champs de patates, vergers de tomates d’arboles, goyaves et grenades, jusqu’à atteindre une crête élevée, dans un secteur de paramo, vers 2800 mètres.
Au col tout change. Nous plongeons en chute libre pour une descente de 1500 mètres, sur un sentier muletier pavé de gros blocs de pierre rendus glissants par la pluie et le brouillard. Une bavante à l’état pur! Il faut une telle concentration pour gérer chaque pas, chaque marche, chaque poche de boue, que l’appareil photo reste pour une fois coincé dans le sac.
Prairies rejointes, alors que nous pensions ranger le parachute, notre guide nous fait prendre quelques raccourcis en trace verticale dans la pente humide. Trois, quatre chutes plus bas, nous voilà rendus dans une finca désolée, plus misérable qu’Hugo, la plus haute d’une vallée qu’aucune route ne rejoindra jamais.
Heureusement les premiers signes de la vie locale se manifestent, une araignée aussi venimeuse que velue, des papillons au design soigné, et surtout des campesinos et des mules, l’essence même de ces vallées.
Rosco nous indique que la vallée n’est sécurisée que depuis 5 à 6 ans, car elle était auparavant sous le contrôle des détestables FARC, les forces armées révolutionnaires colombiennes.
Lorsque nous rejoignons enfin notre finca en fin d’après-midi, nous sommes carrément hagards de fatigue, tout juste capables d’articuler un buenas tardes exsangue. Mais Rosco, plus que bavard, clope sur clope, occupe abondamment le terrain.
C’est une finca de polyculture locale, café, canne à sucre, papas, et pour les animaux, tout ce qu’une petite ganaderia peut compter, de la banale poule caquettante à la vache un tantinet zébu efflanqué, en passant par mules et chevaux, la crème de la crème en ces lieux. Don Ricardo, propriétaire de cette modeste finca, nous y reçoit avec dignité.
Entre Don(s)(?), nous nous comprenons.
Un ouvrier traite la récolte de grains de café du jour, rouges, verts et bruns, comme chaque jour de l’année dans cette région sans saisons. Grace à une machine ad’hoc, il extrait les grains de café et rejette leur peau, source d’un excellent engrais pour la canne à sucre.
Ces grains de café sont séchés à l’air libre en deux ou trois jours, avant d’être ensachés pour partir au marché de Sonsón, prononcez sonne-sonne, le bourg d’où nous venons. Justement demain matin Don Ricardo partira livrer la production de la semaine, d’où une agitation fébrile dans la finca.
Dès 4 heures du matin, en pleine nuit, on se réveille à grand bruit, nous nécessairement avec, pour ferrer et charger les mules, 80kg par bête, elles n’ont au fond que 1500 mètres bien raides à monter ce matin, … du grand spectacle.
Quant à nous, nous poursuivons dans la direction opposée. Nous voilà à nouveau sur un chemin difficile, quand il existe, pierreux, boueux, au choix, dans un délire végétal alors que nous franchissons un nouveau col. 500 à 600 mètres de montée, puis de descente, qui nous font tirer la langue.
Aprés notre almuerzo bio emballé dans une feuille de bananier, nous rejoignons notre seconde finca tôt dans l’après-midi.
Nous n’y rencontrons que des femmes, dont l’accueil est simple et chaleureux. Nous apprenons de l’une d’elles que deux fils de la propriétaire ont été tués par les FARC quelques années plus tôt. Mais alors d’où venaient ces FARC? D’autres provinces et du Vénézuela selon celle-ci, certainement pas des gens de la vallée.
D’idéologie marxiste et sous le prétexte de défendre les campesinos, ils rançonnaient les paysans d’ici, les abattaient s’ils se rebiffaient. Grace au narcotrafic ils avaient les moyens de s’équiper et de s’armer… Maîtres dans l’art du camouflage dans l’immense forêt primaire qui nous entoure, ils purent échapper longtemps à la traque de l’armée régulière.
L’accord de paix récent a du mal à passer alors que le gouvernement a accepté de payer pour que ces criminels des FARC rentrent dans le rang. Un nouvel impôt qui agace est levé pour les financer. Reste encore l’ELN, l’ejercito de liberacion nacional, un groupuscule à la logorrhée castriste, concurrent des FARC, mieux implanté dans les villes, qui multiplie actuellement les attentats.
Bref la situation n’est pas idyllique. Espérons que la petite fille de la maison, élégamment prénommée Maria del Mar, n’aura pas à souffrir à son tour des suites de cette guerre.
Sur la proposition bienvenue de Rosco nous décidons de boucler la dernière journée de ce trek à dos de mule pour moi, de cheval pour Catherine, encore une expérience marquante car le chemin monte, descend, souvent abruptement, dans la boue, sur les dalles de pierre, franchit des rios, heureusement que ces bêtes endurantes ignorent notre inexpérience!
Catherine s’en sort magnifiquement. Un peu de trouille ici et là, de l’adrénaline en langage moderne, et nous voilà arrivés sur une piste … non loin d’un pueblito dénommé San Francisco, un quart d’heure sera nécessaire pour redresser nos jambes arquées.
Un trek éprouvant certes, mais riche en contacts avec la vie authentique des vallées retirées de l’Antioquia.
De retour à Medellin, nous y retrouvons une vie diamétralement opposée, urbaine, bourgeoise, frivole et friquée, dont la vie nocturne sous l’empire de la techno préfère le loisir au labeur, así funciona el mondo…
Hasta luego!
Que d’emotions Mais toujours autant de plaisir à vous lire. Nous attendons la suite avec impatience.
Quel sera votre prochain moyen de locomotion ?