A La Havane, dans le dernier carré de la révolution

La Havane, pour qui est lucide, ne peut passer pour une simple destination soleil. Non seulement il peut y pleuvoir très copieusement, laissant d’ailleurs le temps d’écrire ce billet, mais, surtout, soixante-dix années de révolution ont installé ici un climat où nos délicates sensibilités démocrates risquent un chaud/froid.

Pour le chaud on peut compter sur la guaracha, musique omniprésente, formidablement dansante, chaleureuse, veloutée, qui ricoche de bar en bar. Parfait, car dans ces bars on y trouve des cocktails mettant dans les meilleures dispositions d’écoute, mojito, daiquiri, cuba libre, à un prix avantageux. La bonne humeur n’est pas feinte, au contraire, elle se fond avec la gentillesse de l’accueil qui nous est témoigné.

Des éléments qui contribuent certainement à expliquer pourquoi Hemingway s’installa durablement ici, prenant ses habitudes dans deux bars devenus exagérément mythiques, le Florida où son bronze est pour toujours accoudé en bout de comptoir, et la Bodeguita del Medio, où une photo journal, parcheminée comme un morceau du suaire, attire en masse les pèlerins tombés des paquebots de croisière. Nous faisons aussi ce pèlerinage avec ferveur.

Pour le chaud encore, La Havane détient un patrimoine fabuleux d’édifices coloniaux, mais aussi art déco, car cette cité fut très riche, d’un torrent d’argent mal-né, issu de tous les trafics et exploitations que l’histoire coloniale engendra. Jusqu’à tirer parti de la prohibition aux Etats-Unis, attirant chez elle les américains en manque d’alcool, leur offrant pour la peine du voyage les délices d’une pléthore de bordels tropicaux.

Encore du chaud avec ces stupéfiantes guimbardes, comme jaillies des films des années 50, des belles américaines, longues, massives, tarabiscotées, fluo, fabuleuses! C’est dans la rue une exposition permanente de grosses bagnoles pour stars ou gangsters. En prime, elles roulent avec ce feulement rauque des grosses cylindrées.

Pour le froid, c’est l’incroyable décrépitude qui laisse pantois. Bâtiments déglingués, éventrés, comme dans la Beyrouth en guerre, façades décaties, cours intérieures à usage de dépotoirs. La saleté des rues, bennes à ordures débordantes sous la chaleur, gravats et détritus jonchant la voie, trottoirs défoncés, odeurs d’égouts sans équivoque, La Havane n’a rien à envier au pire des villes d’Amérique du Sud.

Peu de magasins, leurs étagères à l’ancienne, presque à sec de marchandises, font pitié. Même les librairies paraissent d’un autre âge, leur maigre littérature réduite aux textes édifiants, à la gloire de la révolution, Fidel, Le Che, Fidel, Le Che, qui rabachent l’histoire encore et encore. Elles ressemblent à des annexes du musée de la révolution, ancien palais du gouvernement aux vitrines poussiéreuses qui entretiennent la piété révolutionnaire.

Notre guide est un ingénieur en activité, mais, pour gagner des pesos convertibles, au cours vingt-cinq fois plus élevé que les pesos cubains qu’il gagne au travail, il assure cette prestation auprès des touristes étrangers. Un système à double vitesse.

A la fabrique étatique de cigares que nous visitons, une manufacture, où manufacture s’entend au sens premier, nous sommes étroitement surveillés par deux gardes. Au cas où nous céderions à l’envie de chiper quelques-uns de ces magnifiques produits. Mais soudain la main d’un ouvrier se lève à cinq rangs de distance, montrant, comme en classe, une ardoise où il est inscrit « 5×20 »… Je vois et lève le pouce par réflexe. Lorsque nous quittons la position, l’ouvrier se faufile jusqu’à nous et me glisse dans la poche cinq énormes Churchill contre un billet de vingt pesos. En m’intimant d’être discret. Un garde a tout vu. Ouf, il ne réagit pas. Au magasin attenant le prix est au double. Double jeu?

Notre guide nous avait précisé que chaque ouvrier recevait cinq cigares par jour, en avantage en nature. Etait-ce une annonce? Quels sont les codes en place?

C’est la question que nous nous posons ici.


S’abonner
Notifier de
guest

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

6 Commentaires
le plus récent
le plus ancien le plus populaire
Inline Feedbacks
Voir tous les commentaires
TOURRES

Nous retrouvons bien l’ambiance que nous avons connu il y a 4 ans. Offrez-vous un tour de la Havane en voiture américaine …

TOURRES

et ne vous souciez pas pour le flic qui a vu votre commerce de cigares : il a dû recevoir sa part !

Sylvie A

Le royaume du paradoxe…

Marc Veyret

…sourire énigmatique de correspondant de guerre. Un verre de Tio Peppe secco devant lui…

Marc Veyret

… restaurant Iruna, à Pamplona, en Navarre. Son beau visage rond encadré de sa barbe soigneusement taillée et son …

Marc Veyret

Hemingway et son bronze accoudé au comptoir du bar à la Havane.
Je revois le même, ou presque, qui m’a accueilli au bar du …

6
0
Qu'en pensez-vous? Merci de vos commentaires!x