Le retour de la Force de Coriolis

Qui ne connaît la théorie selon laquelle l’eau s’écoulerait au fond d’un lavabo en tournant dans le sens contraire des aiguilles d’une montre dans l’hémisphère nord, et dans l’autre sens dans l’hémisphère sud ? Effet attribué à la très énigmatique « force de Coriolis ». Personnellement je n’ai jamais observé cet effet de façon certaine. Et j’ai lu que ceux qui, bâclant leur brossage de dents, ont scruté le fond des lavabos, des éviers, des baignoires, des bidets, et de toutes ces sortes de réservoirs destinés à la toilette, en ont plutôt conclu que le sens de l’écoulement dépendait davantage de la forme du contenant que de l’hémisphère  …

Mais d’autres phénomènes sont expliqués par la mystérieuse force en question, par exemple la déviation de la trajectoire des obus, la rotation de l’air dans les dépressions atmosphériques, dans le sens contraire des aiguilles d’une montre dans l’hémisphère nord, ou encore le fait qu’un train use davantage le rail de droite sur lequel il roule dans l’hémisphère nord. Ce dernier phénomène m’était rapporté par un ami curieux de toute chose, mais j’avoue que j’étais assez réservé. Je pensais que si le train devait user davantage un rail ce serait par exemple le plus à l’Est, mais pourquoi celui de droite à l’aller comme au retour, alors que droite et gauche s’inversent? Il avait entièrement raison!

Je creusai alors le sujet, avec quelques difficultés à démêler le vrai du faux dans ce que l’on trouve sur le web. Après quelques détours, et notamment un passage par le Palais de la Découverte à Paris, la lumière m’apparut. Je vous propose de la partager, in french et sans équations. Tout cela paraîtra trivial aux plus fins mathématiciens, mais ya pa keu toud’mêm.

Tout d’abord il faut savoir que le terme de « force de Coriolis » est trompeur, car il n’y a strictement aucune force latérale pour dévier les obus après leur lancement, et pourtant, oui,  ils dévient sournoisement sur le côté! Pour être exact il faut parler «d’effet Coriolis », du nom du génial mathématicien français Gustave-Gaspard Coriolis qui l’explicita au 19ème siècle.

L’effet Coriolis est du à la rotation différentielle à la surface de la terre … quésaco?

La terre tourne sur elle-même autour de l’axe des pôles en un jour, plus précisément en un jour sidéral qui dure 23 heures et 56 minutes. Une conséquence de cette rotation est qu’un point situé sur l’équateur terrestre parcourt chaque jour 40000 kilomètres, ce qui correspond à la très jolie vitesse de 464 mètres par seconde. A l’inverse, le pôle, situé sur l’axe de rotation, ne tourne que sur lui-même, et sa vitesse est nulle, à 0 mètre par seconde. Voilà la rotation différentielle. Tous les points de la terre sont en rotation autour de l’axe des pôles, mais la vitesse de ces points est différente selon la latitude, parce que la terre est ronde, sphérique. Entre deux points situés sur le même méridien, celui qui a la latitude la plus basse (le plus proche de l’équateur) se déplace plus vite que celui qui a une latitude plus élevée (le plus proche du pôle), parce qu’il a davantage de chemin à parcourir en un jour.  Si la terre était un cylindre en rotation, alors tous les points de sa surface auraient la même distance à parcourir en un jour et se déplaceraient tous  à la même vitesse. Peut-être que les ballons de foot auraient aussi une forme de boite de conserve. Il n’y aurait alors pas d’effet Coriolis. Mais la terre et les objets célestes en général ne ressemblent pas à des cylindres, mais à des sphères, des ballons ronds! Une conséquence importante de la rotation de la terre est la présence d’une force centrifuge, à la manière d’un objet que l’on fait tourner au bout d’une ficelle, qui tend à vouloir s’échapper vers l’extérieur. Elle s’applique à tous les éléments en rotation, dont nous-mêmes, et tous les éléments qui nous entourent à la surface de la terre. Nous ne ressentons pas physiquement cette force car tous les objets et éléments autour de nous sont soumis à cette même force centrifuge.

Alors, si, pour simplifier, on tire un missile à très longue portée depuis le pôle nord, en ligne droite vers le sud, pour aller s’écraser à l’équateur, que se passe-t-il ? Si on n’a pas pris la peine de prévenir on risque la guerre, mais bien évidemment on aura pris cette précaution et il n’est pas prévu de faire des victimes, c’est juste pour voir la trajectoire. Comme le missile est lancé depuis le pôle, et que, pour simplifier, le pôle ne bouge pas, le missile est effectivement lancé bien droit plein sud sur le méridien choisi par l’artificier. Mais pendant son trajet, qui prend du temps, la terre tourne, et la cible située sur l’équateur se déplace à la vitesse de 464 m/s. Aussi le missile ne va pas atterrir sur le méridien de départ, qui a tourné vers l’Est pendant le voyage du missile, mais sur un autre méridien situé à l’Ouest du méridien de départ.

Présentation1

Vu de l’artificier resté au pôle nord, le missile a été dévié sur la droite! CQFD.Dans l’hémisphère nord le même effet se produit à chaque fois que l’on tire un missile vers le sud, quelle que soit la latitude de départ, parce qu’au point de  départ la vitesse latérale vers l’Est communiquée au missile lors de son lancement est toujours inférieure à la vitesse latérale au point d’impact. Les artificiers ont un intérêt stratégique à maîtriser cet effet s’ils ne veulent pas se tromper de cible.

Et maintenant que se passe-t-il, si, pour simplifier, on tire en réplique un missile depuis l’équateur terrestre, en ligne droite vers le nord, dans la direction du méridien local, pour toucher le pôle nord? Comme le missile est lancé depuis l’équateur, depuis un point qui se déplace latéralement à grande vitesse vers l’Est, alors la vitesse du missile prend au lancement une importante composante latérale et s’oriente vers la droite. Le missile touchera bien le pôle nord, qui ne se déplace pas, mais au terme d’une trajectoire située à droite du méridien de départ. Dans l’hémisphère nord le même effet se produit à chaque fois que l’on tire un missile vers le nord, quelle que soit la latitude de départ, parce qu’au point de  départ la vitesse latérale vers l’Est, à droite, communiquée au lancement du missile est toujours supérieure à la vitesse latérale au point d’impact.

Et si, cette fois, on lance le missile exactement vers l’Est, dans la direction de la latitude du lieu? Pour comprendre cette situation il faut se rappeler que la force centrifuge qui s’exerce sur tous les éléments liés à la rotation de la terre augmente avec la vitesse. En tirant un missile vers l’Est on augmente sa vitesse par rapport à celle qu’il a déjà avec la rotation de la terre. On augmente du même coup la force centrifuge qui s’applique à lui. Cette force centrifuge supplémentaire tend à l’éjecter un peu plus vers l’extérieur de la terre. Cette force supplémentaire se décompose en une composante verticale, vers le zénith du lieu, et une composante horizontale, vers l’équateur terrestre. Cette dernière composante, vers l’équateur, donc vers le Sud, dévie à nouveau le missile vers la droite.

Présentation2

Si à l’inverse le missile est tiré exactement vers l’Ouest, alors la force centrifuge qui s’exerce sur lui est réduite. Ce différentiel de force centrifuge se décompose en une force verticale, cette fois-ci orientée vers le centre de la terre et une force horizontale orientée vers le Nord. Cette fois encore la trajectoire est déviée vers la droite.

A ce stade remarquons que la déviation de la trajectoire est vue par un observateur situé sur la terre, comme l’artificier qui a tiré le missile, ou les populations survolées, ou encore les malheureuses cibles, toutes demeurant sur la terre et entraînées dans son mouvement. Pour un observateur fixe à l’extérieur, qui ne serait pas relié à la terre, alors le missile  va bien tout droit dans l’espace, sans aucune déviation. Le mouvement du missile n’est donc pas perçu de la même façon selon que l’observateur est sur la terre en mouvement, ou alors en un point extérieur à la terre. Cette évidence renvoie à la question du choix du référentiel pour l’analyse des mouvements, galiléen ou non, sujet primordial… mais demandant un peu de temps car son traitement sérieux nous emmène rapidement vers la théorie de la relativité générale !

Même si il n’y a pas de force effective pour dévier les trajectoires vues par un observateur terrestre on utilise malgré tout le terme de « force de Coriolis » car, dans la modélisation newtonienne, bien pratique pour résoudre les problèmes usuels de mécanique, un objet en mouvement ne peut dévier d’une trajectoire rectiligne uniforme que s’il se voit appliquer une force. Les physiciens conviennent alors de parler d’une pseudo-force, la « force inertielle » pour la distinguer d’une force effective telle que celle résultant d’une action mécanique, d’un champ sur une particule électrique, etc. La force centrifuge est aussi une pseudo-force, car un objet éjecté d’une trajectoire circulaire va en ligne droite pour un observateur fixe non lié à l’objet, tandis qu’il est dévié pour un observateur poursuivant lui la trajectoire circulaire.

Un autre exemple de force inertielle est celle qui projette le conducteur d’une auto dans le pare-brise, lorsque sa voiture percute un obstacle, au cas où il n’a pas pris la précaution d’attacher sa ceinture de sécurité. Il n’y a aucune force effective qui le pousse dans le pare-brise, pas de corde le tirant vers le pare-brise, pas de passager arrière qui le pousse, pas de champ électrique… Simplement le conducteur avait une vitesse nulle dans le repère de sa voiture en mouvement, mais, il avait pour un observateur extérieur une vitesse égale à la vitesse de sa voiture. Lorsque la voiture est stoppée brutalement, le conducteur conserve la vitesse de la voiture, et se trouve projeté en avant. Dans la modélisation newtonienne on ne peut rendre compte d’un tel mouvement accéléré et douloureux du conducteur vers le pare-brise  que par la présence d’une force, en l’espèce une force inertielle.

Il est facile de comprendre la rotation des dépressions atmosphériques, dans le sens contraire des aiguilles d’une montre dans l’hémisphère nord. En l’absence d’effet Coriolis l’air devrait s’écouler en ligne droite depuis les hautes pressions situées à la périphérie de la dépression, vers les basses pressions au centre de la dépression. Mais comme l’effet Coriolis dévie systématiquement les trajectoires vers la droite, il dévie l’écoulement de l’air vers l’extérieur, engendrant ainsi la rotation de l’air autour du centre de la dépression.

Dans l’hémisphère sud, c’est simple, toutes les déviations passent à gauche. En effet la vitesse de rotation augmente quand on se dirige vers le nord, en partant du pôle sud vers l’équateur. C’est juste le contraire de l’hémisphère nord. Les dépressions tournent aussi dans le sens contraire, c’est-à-dire dans le sens des aiguilles d’une montre. Bon à savoir pour les marins. Enfin cette analyse souligne la situation particulière de la zone équatoriale, puisque à peu de distance de l’équateur l’effet Coriolis est de sens contraire.

Nos trains qui se déplacent dans l’hémisphère nord sont déportés vers la droite, ils usent donc davantage le rail situé à leur droite. Dans l’hémisphère sud ils usent davantage le rail situé à leur gauche. Comme les trains font généralement des allers et retours sur des voies séparées, l’usure due à l’effet Coriolis porte toujours sur le même rail. Pour les voies uniques le retour compense l’aller, en usant alternativement les deux rails, situés tour à tour à la droite du train en marche. Toutefois, selon la littérature, les autres facteurs d’usure sont considérablement plus importants, rendant complètement négligeable cet effet Coriolis sur les rails.

L’effet Coriolis est aussi mis en évidence par le fameux pendule de Foucault. Comme la trajectoire de la masse suspendue au pendule est constamment déviée vers la droite, dans l’hémisphère nord, le plan d’oscillation du pendule tourne dans le sens des aiguilles d’une montre. La masse suspendue parcourt un cercle complet, et recommence. Le musée des arts et métiers à Paris expose un superbe pendule de Foucault.Présentation1

Toutes ces considérations sont basiques, mais extrêmement utiles pour rendre compte de phénomènes observés sur notre terre. C’est le même type de raisonnements, portant sur l’analyse des mouvements, des repères, de la force de gravitation, une autre pseudo-force, qui conduisirent Einstein à élaborer sa théorie de la relativité générale, rendant compte cette fois-ci de phénomènes observables à l’échelle de l’Univers. Bien comprendre l’effet  Coriolis, c’est aussi une manière de se préparer à intuiter les fondements de la relativité générale.

 

 

S’abonner
Notifier de
guest

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

4 Commentaires
le plus récent
le plus ancien le plus populaire
Inline Feedbacks
Voir tous les commentaires
Jean Tourres

Bravo pour ce rappel interessant sur Coriolis. C’est bien imagé et particulièrement pédagogique !
Sur les forces « mystérieuses » j’aurais une petite énigme à te proposer :
Pourquoi, sur un petit avion léger à hélice ou un ULM, au moment du décollage, un jour sans vent, l’avion à tendance à virer vers la droite, mouvement que le pilote doit contrer (ou mieux anticiper) ?

phicatgarnier

L’effet Coriolis existe dès lors que l’avion roule avec un peu de cap au sud ou au nord, mais il est parfaitement négligeable, comme il est négligeable dans la conduite d’une voiture. En revanche la rotation de l’hélice entraine des forces latérales très importantes sur l’avion, très bien décrites ici http://www.gilbert-pernot.fr/helice_calcul_fabrication.html, sous la forme « d’effets pervers ». Une cause importante est notamment due au pas de l’hélice qui implique une force de réaction latérale, phénomène que l’on retrouve sur un bateau à hélice, qui complique les manoeuvres de ponton.

Marc VEYRET

Limpide. J’ai tout compris. Du moins, en première lecture, comme on dit prudemment.
Cela dit, cette lecture m’amène à une question : soit un missile tiré – disons à mi-chemin d’un pôle et de l’équateur – avec une portée programmée pour qu’il tombe à mi-chemin de l’équateur et de l’autre pôle, dans l’autre hémisphère.
Ma question : est-il raisonnable de penser que le-dit effet Coriolis subi durant le trajet du missile dans l’hémisphère du tir serait compensé par le-dit effet subi, dans l’autre sens, dans l’hémisphère d’atterrissage ?
Autrement-dit, faut-il craindre les artificiers nord-coréens ?

Marc

phicatgarnier

La réponse est un peu subtile … à placer sous le contrôle des meilleurs experts. Un missile tiré depuis l’hémisphère nord vers l’hémisphère sud survolera l’équateur terrestre en altitude. Pendant tout son trajet la terre conserve évidemment le même sens de rotation, et l’effet Coriolis est bien alors une déviation continue à droite, y-compris dans l’hémisphère sud. Il n’y a donc pas de compensation, mais une déviation constamment orientée à droite jusqu’à l’impact. Mais si on imagine un missile avec un trajet en deux étapes, une première étape d’un point de l’hémisphère nord pour se poser au sol à l’équateur,… Lire la suite »

4
0
Qu'en pensez-vous? Merci de vos commentaires!x