Dans la jungle, un trek vers le temple du Grand Jaguar

Pour découvrir les palais Mayas, concentrés d’une civilisation mystérieusement disparue, nous avons choisi une voie d’accès puissamment évocatrice : un trek de trois jours dans la jungle.

L’objectif est de rejoindre Tikal, le plus grand site Maya au monde, occupé de 800 avant notre ère jusque vers l’an 900. A son apogée, cette cité comptait plus de cent mille habitants. En 700, Jasaw Chan K’awiil, de son petit nom Monsieur Cacao, y fit construire le temple du Grand Jaguar. Cet historique est connu avec une précision d’horloger car les Mayas avaient un calendrier remarquablement précis. Ils avaient l’habitude de graver, en glyphes, dates et noms sur leurs monuments.

Nous partons de Cruz Dos Aguadas pour rejoindre tout d’abord le site non restauré d’El Zotz.

Environ six heures de marche par jour.

C’est une expédition … deux guides, un cuisinier et son auxiliaire, deux chevaux pour porter la charge. Deux guides parce qu’il faut un guide culturel, Olivieres, qui connaît superbement le monde Maya, et un guide de marche, José, qui connaît les chemins.

Olivieres est un lettré, plein d’humour. Il nous rapporte que le Guatemala est relativement à l’abri du coronavirus, mais durement frappé par le gallovirus, beaucoup plus virulent. En effet la Gallo est la marque de bière nationale au Guatemala, très populaire, tandis que la Corona, c’est de la bière mexicaine, moins appréciée!

José est le président de la communauté d’où nous partons, bien placé pour gérer les contacts locaux et tailler à la machette les branches qui encombrent la route.

Bien chargés parce que nous sommes six, parce qu’il n’y a aucun point d’eau dans cette période sèche, parce qu’il nous faut des moustiquaires, et que nos compagnons se sont promis de nous faire très bien manger.

Nous ressemblons à ces acteurs d’Holywood  qui jouaient les baroudeurs dans la savane africaine, d’un peu loin d’accord!

En trois jours nous ne rencontrerons d’autres humains que les gardes du parc national, excepté en arrivant à Tikal dont la notoriété se compare à celle du château de Versailles. Mais nous ferons de belles rencontres avec les habitants de la jungle à l’année … quoique la plupart vivent à vingt ou trente mètres au-dessus de nos têtes, perchés dans les branches. Les plus agités sont ces extraordinaires singes araignées (mono araña), qui se propulsent de branche en branche à l’aide de leurs immenses pattes et de leur queue préhensile.

Ces singes sont des voltigeurs de premier ordre. Ils ne paraissent rien craindre en distance et en hauteur pour sauter d’un arbre à un autre. Mais il faut rester sur ses gardes. Nous serons chassés par un petit groupe qui nous balancent à qui mieux mieux des branches mortes, de forte taille, de façon extrêmement volontaire et adroite ! Pour nous dire qu’ils sont ici chez eux.

Un autre groupe de primates, les singes hurleurs, se tient plus tranquille, mais ceux-là poussent un cri, un brame, un rugissement … caverneux, phénoménalement fauve. Un rauque qui vous retourne les tripes ! Nuit et jour … pour protéger, nous dit-on, leur territoire. Grosses peluches mais farouches …

D’ailleurs beaucoup ici s’attachent à marquer leur territoire, tout particulièrement les jaguars, abondants dans cette jungle. On relève régulièrement leurs pipis et leurs popos (laissons le lecteur traduire) dont ils se soulagent, mais dont ils se servent surtout pour marquer leur territoire de chasse. Compte tenu du nombre de pipis et de popos que nos guides relèvent, nous sommes encerclés par les jaguars. Nous ne verrons pas cet animal emblème des Mayas, car, à la différence du singe araignée, il est peu porté à faire l’andouille .

Le coati lui n’est pas un fauve. C’est au contraire une proie idéale. D’ailleurs on trouve des touffes de son poil un peu partout, issues de combats sans suspense.

Le caoti n’a qu’une option: fuir. Il est d’ailleurs très adroit pour courir sur les branches. Un peu d’écureuil géant, un peu de loutre, un zeste de bal masqué, une bonne dose de Disney, secouez le tout, passez le au brushing, vous obtenez un coati !

Le trophée du trek in the jungle, Holywood oblige, est l’observation d’un nid d’aigles, abritant un couple, perché à soixante mètres dans un caoba de 400 à 500 ans ! Oui, nous l’avons vu ! Confirmé par notre guide culturel, responsable d’une association d’ornithologie … Or c’est très rare et très cher. Bonne pioche !

Nous observons aussi d’autres oiseaux dans ce couvert forestier, hyper décoratifs …

Nous rejoignons El Zotz au matin du second jour. Cette cité fut habitée par les Mayas il y a plus de mille ans. En ce temps il n’y avait pas de jungle, car les Mayas étaient des cultivateurs. Ils cultivaient le maïs, à la base de leur alimentation, auquel ils vouaient un formidable culte. Mais la décadence vint. Les Mayas partirent. La région fut désertée. Les cités furent recouvertes par la végétation, puis par l’humus et la terre, jusqu’à engendrer cette jungle très dense. Les temples et pyramides se transformèrent en collines boisées, toutes constructions ensevelies. Nous sommes mille ans plus tard, nous découvrons El Zotz bien déboisée, mais moins que restaurée.

Il existe des centaines de sites Mayas comme celui-ci dans cette région du Peten au Guatemala, au Belize, ainsi qu’au Yucatan mexicain tout proche et au Honduras. Les archéologues et les pilleurs de tombes y ont un programme de travail de plusieurs siècles.

Nous identifions parfaitement les éléments essentiels de la cité, pyramides, temples, acropole, réserve d’eau, terrain de jeu de pelote, jeu de balle un peu stressant qui désignait les futurs sacrifiés … L’isolement absolu, le silence, la majesté des formes, la profondeur de la forêt qui nous entoure, quelques vestiges de stèles et de sculptures, nous suggèrent la présence énigmatique des anciens Mayas. Parvenant au faîte d’El Zotz nous rejoignons ce point où les rois Mayas opéraient la jonction entre l’inframonde, le monde souterrain, et le ciel.

Au dernier jour de notre trek nous trouvons la jungle la plus dense. La marche dans ce milieu hostile est soulante! Il faut regarder à terre pour éviter branches mortes, souches et racines, il faut enjamber les arbres tombés à terre, ou bien passer dessous, il faut se garder sur les côtés d’arbres hérissés d’épines particulièrement perforantes, il faut aussi se méfier de fines lianes coupantes au niveau de la tête.

José, notre guide de marche, nous met en alerte, « cuidado ! », « espinas ! », « despacio ! » … mais son génome Maya le pousse à marcher assez vite, les jambes rapides sous un buste droit comme un i. Lorsque nous arrivons à Tikal, après six heures de marche, nous sommes rincés.

Mais cette préparation en valait la peine, car Tikal est simplement fantastique. Lorsqu’elle fut (re)découverte au 19ème siècle par des chicleros, ces récolteurs de gomme à mâcher venus ici saigner les sapotilliers , les monuments de la cité de Tikal était couverts d’une forêt très dense. Aujourd’hui restaurée, elle est comparable à Pompei extraite de ses cendres ou au Machu Pichu, quoiqu’avec mille fois moins de visiteurs. Une ville complète, splendide sous le soleil, que l’on parcoure avec fascination.

Le must est ici de se lever à quatre heures du matin pour rejoindre de nuit le sommet du temple IV, à 70 mètres de hauteur, pour assister au lever de soleil sur la jungle. Nous participons à ce rituel avec une trentaine de visiteurs. Pendant près de deux heures aucun n’émettra le moindre bruit, hormis les déclics des appareils photos. En effet, alors que le ciel de l’Est commence à rosir, les singes hurleurs entament un concert de barrissements, ponctué par les martèlements des pics, à peine adouci par le contrechant des oiseaux.

Et tandis que la cime des temples émerge de la brume, que Jupiter s’efface dans le jour naissant, notre étoile s’élève sur l’horizon. Nous communions avec les primates, dans cette première religion de l’humanité qu’est le culte du soleil.

Dans cette aube du monde les gens sont scotchés à leur marche de pierre.

Tikal, lever du soleil depuis le temple IV

Merci à nos accompagnateurs, hasta luego !

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6 Commentaires
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Renaud

Bonjour, pouvez-vous me donner l’agence avec laquelle vous avez fait le trek ? Merci.

Philippe

Bonjour
Nous avons utilisé Sin Fronteras située à Antigua, à l’époque avec Lucia Ignacio. C’était parfait. Lucia a dû quitter suite au Covid

Julie

Bonjour, ça donne envie malgré les épines hihi
Souvenez vous du tarif que vous aviez payé pour ce trek ?
Merci

Philippe

Bonjour Julie, oui c’est un trek magique, à l’écart de tout, avec des rendez-vous incroyables. Je suis bien incapable de vous répondre sur le prix car nous avons organisé tous nos treks au Guatemala avec une agence d’Antigua dans un package global … et c’était avant la COVID. Je vous conseille de prendre contact avec l’une d’elles, soit à Antigua, soit à Flores qui est le (joli) point de départ des itinéraires de toute cette région. Bien cordialement.

beatrice

Encore une fois c’est un plaisir de vous suivre en voyage – depuis mon canapé sans croiser les arbres ā épines géantes-et de découvrir le Guatemala. Merci et bravo pour les textes et leur humour , les photos belles et parlantes.
Beatrice

marcomarcheur

Du Sepulveda dans le texte. Ou presque.
Merci Philippe et Catherine. Lucky you are…

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